Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivante : « Je prie Dieu qu’il me conserve pendant de longues années le secours de vos conseils sûrs et dévoués dans le poste si difficile et si plein de responsabilités qui m’est échu comme chef d’Empire. » Mais, quoi qu’il en dise, il est visible que, dès ce moment, dans sa pensée, le prince de Bismarck est condamné à se soumettre ou à se démettre, car, ainsi que l’Empereur le dira bientôt, il s’agit de savoir si c’est la dynastie des Bismarck qui régnera sur l’Allemagne ou celle des Hohenzollern.

Au moment où la question se posait avec cette rigueur, les luttes électorales engagées de toutes parts sur l’étendue de l’Empire attestaient les progrès vertigineux du socialisme. La levée de boucliers de la classe ouvrière se traduisait en Westphalie par un formidable mouvement gréviste. Les classes dirigeantes s’en alarmaient. Elles se croyaient menacées des plus grands dangers, « peut-être même d’un massacre. » Les inquiétudes de l’Empereur n’étaient pas moindres. Il ne les dissimulait pas, mais il croyait à la possibilité de conjurer le péril en allant lui-même au-devant des revendications ouvrières pour leur donner satisfaction dans ce qu’elles avaient de légitime.

— Si nous ne le faisons pas, disait-il, il se trouvera dans le Reichstag une majorité pour le faire et nous serons obligés de suivre, ce qui nous entraînera plus loin qu’il ne convient d’aller. Etudions donc les réformes qui peuvent être faites sans dommage pour la sécurité de l’Etat et annonçons-les avant les élections.

Bismarck n’avait jamais été partisan des concessions et des accommodemens quand ils semblaient lui être imposés. Lorsque, au mois de décembre, l’Empereur, après s’être enquis de la situation des ouvriers dans tous les pays, lui fit part de ses desseins, il protesta. Céder aux demandes des socialistes, fussent-elles modérées, c’était ouvrir la porte à toutes leurs exigences et se mettre dans l’impossibilité d’y résister. Il ne voulait voir, quant à lui, dans les revendications ouvrières qu’une révolte qu’il fallait écraser avant qu’elle ne se développât. Il fallait présenter au nouveau Reichstag dès ses premières réunions, une loi très sévère contre les socialistes, le mettre en demeure de la voter, et, s’il s’y refusait, prononcer sa dissolution, après quoi, on réprimerait par la force les soulèvemens qui pourraient se produire.

L’Empereur répliqua énergiquement qu’il n’entrerait pas dans cette voie.