Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mon grand-père, au terme d’un règne glorieux, aurait pu le faire, s’il y avait été contraint. Mais si j’agissais de la sorte au début du mien, on m’accuserait de l’inaugurer en massacrant mes sujets. Je suis prêt à recourir à toutes les mesures qu’exigerait la défense de ma couronne, mais je suis résolu à n’y recourir qu’après avoir tout fait pour répondre aux réclamations légitimes des ouvriers.

Ce débat se renouvela à plusieurs reprises sans qu’aucun des deux interlocuteurs se ralliât à l’opinion de l’autre. Le dissentiment s’aggrava, lorsque l’Empereur, voulant mettre en pratique ses projets, demanda dans une réunion de ministres qu’on lui présentât deux décrets qui en prépareraient l’exécution. Par le premier, le chancelier de l’Empire serait invité à demander officiellement à la France, à l’Angleterre, à la Belgique et à la Suisse, si elles consentiraient à entrer en négociation avec l’Allemagne, en vue d’une entente internationale sur les moyens de donner satisfaction aux vœux des travailleurs. L’adhésion de ces Etals une fois acquise, on inviterait les gouvernemens qui attachaient un égal intérêt à la question ouvrière, à se réunir en conférence à Berlin pour aviser aux moyens de la résoudre. Le second décret ordonnerait au ministre des Travaux publics de dresser le programme d’une enquête sur le même objet, dont les études préliminaires seraient présidées par l’Empereur en conseil d’Etat avec l’adjonction de personnes compétentes.

La résistance du chancelier fut plus énergique qu’elle n’avait été la première fois ; mais elle n’ébranla pas la volonté de l’Empereur. Les rescrits impériaux furent promulgués le 6 février 1890. Déjà la réunion de la conférence était assurée par l’adhésion officieuse des gouvernemens au concours desquels le Cabinet de Berlin avait fait appel. D’après Hohenlohe, Bismarck, dépité, aurait annoncé à l’Empereur l’intention de se retirer. Mais, changeant d’avis au bout de quelques jours, il avait déclaré que, décidément, il restait à son poste. L’Empereur, quoique déçu, s’était résigné à attendre une autre occasion. Il importait à la gloire impériale que la chute du dictateur se produisît en des conditions telles qu’elle ne pût être imputée qu’à lui-même.

Ces incidens avaient eu un trop grand retentissement pour ne pas ranimer les espérances de ses ennemis. Le bruit de sa retraite prenait de jour en jour plus de consistance ; mais, s’il