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après les avoir toutes provoquées. Arrivé à ce grand âge où l’on se dégage également de beaucoup d’imprudences de l’optimisme et de ces tentations de découragement qui n’ébranlent que les ambitions trop naïves et trop orgueilleuses, il témoignait de la fermeté de ses opinions par la fidélité de son attitude et par son activité prolongée. Malgré les souffrances qui l’ont éprouvé dans les derniers mois de sa vie, il a fini dans la sérénité que donne le sentiment du devoir accompli jusqu’au bout et la certitude que des efforts pareils à ceux qu’il a prodigués ne peuvent pas demeurer inutiles.


Ces efforts avaient été préparés de longue date, et il est impossible de ne pas prendre très précisément au pied de la lettre ces paroles que prononça le président du Sénat au lendemain de la mort de son collègue : « Messieurs, en apprenant la mort de M. Bérenger, le Sénat s’est senti atteint dans une de ces forces morales qu’une assemblée met longtemps à retrouver, car cette force était elle-même le rare produit d’une vie exemplaire et d’une double hérédité de talens et de vertus. Il était, en effet, le petit-fils d’un député du Tiers-Etat à l’Assemblée constituante de 1789, dont le rôle ne fut pas sans importance, et le fils du grand criminaliste qui, après avoir occupé une haute situation dans les Chambres des Cent-Jours, de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, devint pair de France, président à la Cour de cassation et membre de l’Institut. »

Ce rappel des traditions familiales était aussi éloquent qu’exact ; il vaudra la peine de raviver ces traditions, autant qu’on le pourra, et de les empêcher de s’effacer. Marcelin Bérenger, le grand-père, avait été installé à vingt-six ans, comme avocat général, dans le siège occupé avant lui par Servan. Le fils de Marcelin, celui qui fut si connu sous le nom de Bérenger de la Drôme, fut l’un des héritiers et des défenseurs du renom de Barnave, à la famille duquel la sienne était intimement liée ; il fut le collègue et l’ami fidèle de Manuel. A travers bien des régimes, devant bien des postes de combat et de devoirs très divers, il mérita que l’auteur très instruit et très avisé de sa notice académique, Charles Giraud, dit de lui : « L’homme de bien, l’homme sincère, le magistrat, étaient ce qui prévalait toujours chez M. Bérenger : un peu d’hésitation