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aujourd’hui le courage d’entreprendre ni la patience d’exécuter certains répertoires français du XVIIe et du XVIIIe siècle qui, n’ayant jamais été imprimés, sont conservés aujourd’hui soit aux Archives nationales, soit au Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, ou les tables justement célèbres qui forment le tome V de la Bibliothèque historique de la France du P. Lelong. La diligence éclairée des grands transcripteurs, extracteurs, collectionneurs et lexicographes français du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle, qui se sont proposé d’aménager les innombrables documens relatifs à nos antiquités nationales, les Pithou, les du Chesne, les du Puy, les Godefroy, les Sainte-Marthe, Baluze, du Cange, Brussel et tant d’autres, n’a jamais été surpassée… » Quant à l’organisation du travail collectif, elle a son modèle en France, dès le siècle de Louis XI, dans la congrégation des Bénédictins de Saint-Maur. Sous Louis XV, notre Académie des Inscriptions « rivalise d’activité » avec les Bénédictins. Et, en 1764, Barthélémy écrivait à Pacciaudi : « Je doute que chez aucun peuple on fasse à présent d’aussi grandes entreprises que chez nous… » Alors, ces érudits qui, vers le milieu du siècle dernier, se sont mis à l’école de l’Allemagne, c’est une singulière idée qu’ils ont eue. Ce qu’ils allaient chercher en Allemagne, la règle d’un méticuleux travail et l’organisation méthodique du travail, ils l’avaient chez nous. L’erreur qu’ils ont commise a eu des conséquences : elle a fait prendre pour une invention de nos éternels ennemis ce qui est une invention française, confisquée par eux ; et elle a fait décerner aux historiens allemands un brevet de loyauté qu’ils ne méritent pas, si (comme le disait ici même Fustel de Coulanges en 1872) « l’intérêt de l’Allemagne est la fin dernière de ces infatigables chercheurs » et si (comme on le voit aujourd’hui le mieux du monde) ces laborieux personnages ont tous été, dans la mesure de leurs moyens, les auxiliaires du pangermanisme sournois. Ce qui vient d’Allemagne, ce n’est pas l’érudition, — même si elle est un jour revenue d’Allemagne, après y être venue de la France ; — ce qui vient d’Allemagne, c’est l’abus de l’érudition, c’en est la manie et, pour ainsi parler, la maladie. Ce qui vient d’Allemagne, c’est la superstition ridicule de la méthode et c’en est la consécration quasi religieuse. C’est aussi l’orgueil intraitable et c’est la hauteur des bibliographes, gens incommodes et tout dépourvus d’aménité. Principalement, c’est la folie de croire que les petites sciences et « industries » destinées à aider l’historien sont l’histoire. Ces gens dressent les échafaudages qui serviraient à édifier le monument ; et ils