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minutes à la gare d’Anhalt, la police évitait de laisser propager la nouvelle et prenait des mesures pour empêcher les rassemblemens. Néanmoins, la nouvelle se répandait et une foule considérable se portait à la rencontre du train. Elle accourait de tous côtés, voire des quartiers les plus lointains, forçait les grilles, envahissait les quais. Il y avait là des gens de toutes les conditions et une multitude d’officiers en uniforme. Bousculés et débordés, les agens appelaient des renforts. Mais il n’était plus temps d’empêcher la manifestation. Elle prenait en quelques minutes des proportions formidables. Lorsque le train entrait en gare, une immense acclamation s’élevait et saluait le voyageur. Le wagon, dans lequel il se trouvait avec sa femme, était assailli par des gens qui se pressaient pour voir et pour être vus. Au-dessus des têtes, des mains crispées brandissaient des bouquets et, bientôt, les tapis du wagon étaient jonchés de fleurs, Debout, à la portière, violemment ému et les yeux en larmes, Bismarck saluait à droite et à gauche, bégayait des remerciemens, auxquels la foule répondait en entonnant des chants patriotiques, qui étaient interrompus par des cris : « Vive Bismarck ! »

On le vit soudain se retourner et interroger la princesse, qui sanglotait derrière lui.

— Faut-il que je parle ? demandait-il et, sans attendre la réponse, il reprenait en s’adressant à ceux qui l’acclamaient : — Non, mon devoir est de me taire.

Alors, les interpellations se croisaient.

— Vous ne voulez pas parler ; cela ne fait rien, les pierres parlent pour vous.

— Le peuple n’est pas comme les princes, il n’oublie pas.

Les hourrahs reprenaient de plus belle jusqu’au moment où le train se remettait en marche ; et la foule de crier :

— Revenez ! revenez ! *

Cette imposante manifestation avait-elle été spontanée ou n’était-elle que le résultat des efforts faits par les amis de l’ex-chancelier à l’effet de la provoquer ? Il est difficile de se prononcer. Mais, telle qu’elle s’était produite, elle constituait un acte significatif d’opposition à la politique personnelle de l’Empereur.

Ce qui s’était passé à Berlin allait se répéter à Dresde où l’opinion publique pouvait s’exprimer avec plus d’indépendance et où elle était d’accord avec celle du souverain saxon, le roi Albert.