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Il avait quitté Dresde dans la matinée du 18 juin, et, quelques heures plus tard, il arrivait à Vienne, principale étape du voyage triomphal qu’il préparait depuis trois mois. Il voulait des ovations ; elles ne lui manquèrent pas. Son séjour dans la capitale autrichienne se résume en une longue et bruyante acclamation. Elle commence à la gare, bien qu’aucune société constituée n’y eût été admise ; elle se continue sur le chemin qui le conduit au palais Pallfy, où l’attend une hospitalité somptueuse et où il doit recevoir les hommages de l’aristocratie hongroise. De toutes parts, sur son passage, s’élèvent des « hoch ! » bruyans et prolongés et il ne pourra se montrer nulle part, là même où il n’est pas attendu, sans être l’objet du même enthousiasme. Il en sera ainsi à l’Exposition de théâtre et de musique, aussi bien qu’aux abords de l’église où, le lendemain, est célébré le mariage de son fils. Il salue à droite et à gauche avec des airs de souverain, il vide des verres de bière, il répond aux allocutions, il savoure avec volupté l’accueil qui lui est fait.

Les organisateurs de ces manifestations appartenaient au parti national allemand hostile à l’Autriche et surtout antisémitique, si bien qu’aux cris de : « Vive Bismarck ! » se mêlaient ceux de : « A bas les juifs ! » Parmi les manifestans, les étudians de l’Université se faisaient remarquer par la violence de leurs clameurs, visiblement hostiles à Guillaume II, aussi bien qu’à l’Autriche, qui, dans sa propre capitale, semblait être l’objet d’une véritable animadversion. « Personne, écrit un témoin, n’a paru penser à elle, à son souverain, à son passé, à son avenir, à son drapeau. Le scandale a été tel qu’un officier en retraite, interpellant la foule, s’est écrié : « — Mais souvenez-vous donc que vous êtes Autrichiens ! »

En réalité, c’était la Hongrie, alors hostile à l’Autriche, qui faisait à Bismarck les honneurs de Vienne. Il résidait chez le comte Pallfy, les Zichy ne le quittaient pas, et la comtesse Andrassy donnait pour lui une soirée où tout Vienne fut invité, ce qui ne laissa pas de mettre dans l’embarras le monde diplomatique et le monde de la Cour. Le comte Nigra, ambassadeur d’Italie, et sir A. Paget, ambassadeur d’Angleterre, y firent une apparition. Mais l’ambassadeur de Turquie, Zia-Bey, invité comme eux, resta chez lui. Le premier ministre, comte Kalnocky, n’ayant pas cru pouvoir décliner l’invitation, manœuvra de manière à n’échanger avec Bismarck que des politesses