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Probablement le séjour de l’empereur à Mistra fut, cette fois encore, très court, tant il était naturellement pressé, après de si grands événemens, de rentrer dans sa capitale. Si même il y fit quelque arrêt, ce fut pour y attendre et les trois galères de Gênes qui devaient le rejoindre et surtout son cher Boucicaut, qui arrivait avec elles, conduisant en personne à Chypre toute la flotte de Gênes, pour forcer le roi de cette île, Janus, à lever le siège de la cité de Famagouste, occupée depuis près de vingt années par les Génois.

« Quand le mareschal feut arrivé à Modon, dit l’historien de ses Mémoires, là trouva les messaigers de l’empereur de Constantinople, Karmanoli, qui l’attendoient, par lesquels il luy mandoit que, pour Dieu, et en l’honneur de Chevalerie et Noblesse, il ne voulust point passer outre sans qu’il parlast à luy. Car il estoit en la Morée vingt milles en terre[1] ; si le voulust un petit attendre et il viendroit à luy. Le Mareschal receut les messaigers à tel honneur qu’il leur appartenoit, et leur dict bénignement que ce feroit-il très volontiers. Si ordonna tantost pour luy aller au devant le Seigneur de Chasteaumorant (qu’il avait emmené de Gènes avec luy)[2], à tout sa gent, et Messire Jean d’Outremarin (ou Oltramare), Genevois, à tout une galée ; et luy l’attendit à un port appelle Basilipotamo[3]. Quand le Mareschal sceut que l’Empereur approchoit, il luy alla à l’encontre, et receut à grand honneur lui, sa femme et ses enfans[4] qu’il avoit amenez, comme raison estoit.

« Le dict Empereur le requist moult bénignement, en l’honneur de Dieu et de Chrestienté, que il luy voulust donner confort et pessaige jusques à Constantinople. Le Mareschal respondit que ce seroit très volontiers, et tout ce que pour luy

  1. C’est-à-dire à Mistra.
  2. « Châteaumorand, dit M. Berger de Xivrcy, que nous avons vu chargé par Charles VI d’escorter Manuel, parait avoir été retenu à Gênes par Boucicaut pour aller presque aussitôt ensemble, par ordre du roi Charles, assiéger l’antipape Benoît XIII dans Avignon. Ils étaient dans cette ville lorsque le pontife s’en échappa le 12 mars que l’on comptait encore 1402, Pâques tombant cette année le 15 avril. On peut donc estimer assez sûrement que ce fut dans les premiers jours de l’année 1403 (après Pâques) que le maréchal ramena Châteaumorand à l’empereur. »
  3. Le port de Mistra, sur le golfe de Laconie, à l’embouchure de l’Enrotas.
  4. En réalité, nous l’avons vu, il n’en restait qu’un, les deux autres étant morts. Celui-là s’appelait Jean et succéda à son frère au trône de Byzance. Quand Manuel, avec l’impératrice, rentra dans sa capitale, il laissa cet enfant auprès de son oncle, en Morée.