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de faire une juste part aux convoitises ; on a ainsi laissé passer l’heure où la chose eût été possible, et l’on peut d’autant moins reprendre maintenant ce projet que le sentiment du respect des nationalités a fait, chez les nations vraiment civilisées, les progrès considérables que la guerre actuelle met en lumière. Pourquoi les diverses Puissances de l’Entente n’adopteraient-elles pas, à l’égard de la Chine, une politique fondée sur les mêmes principes que celle pour laquelle tant de héros versent actuellement leur sang en Europe ?

Si aucun appui extérieur n’est donné au régime actuel, il est infiniment vraisemblable que celui-ci s’écroulera comme le régime mandchou et pour les mêmes causes, puisqu’il est de la même essence et qu’il possède les mêmes défauts. Alors, mais seulement alors, ce grand pays pourra reprendre l’œuvre commencée un moment dans les premiers jours de la République, c’est-à-dire chercher à s’organiser dans la liberté en conformité avec sa nature et son développement historique antérieur, créer des États provinciaux et une fédération nationale, en un mot édifier une démocratie analogue à celle des États-Unis d’Amérique, puisque aussi bien nulle forme de gouvernement n’est mieux en harmonie avec les principes philosophiques, et les mœurs sociales qui prévalent dans la civilisation chinoise.

Comme toute démocratie est naturellement éloignée de la politique de conquêtes, le peuple chinois ne pourra ainsi devenir le danger militaire futur qui effrayait certains ; au contraire, il sera porté, pour mettre en valeur les richesses de son sol, à entrer dans le concert, des activités économiques mondiales où la politique ne le placera plus dans une condition inférieure et humiliée.

Cette hypothèse n’a rien de chimérique ; elle constitue, depuis plusieurs années, le programme de toute la partie éclairée du peuple chinois ; elle formait celui des assemblées élues : Chambre, Sénat, Assemblées provinciales, qui furent dissoutes par le coup d’État. Si la réalisation d’un tel programme, ne rencontrant plus aucun obstacle du dehors, était enfin rendue possible, la politique internationale se trouverait enfin débarrassée de l’épineuse question chinoise, susceptible de devenir aussi dangereuse que la question balkanique.


FERNAND FARJENEL.