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un bien meilleur profit ; aussi pouvait-elle doubler sa production houillère et doubler son importation de charbons anglais, sans avoir jamais de stocks encombrans.

Dans le commerce européen, elle avait conquis une position aussi forte, aussi profitable, et qu’il lui était aussi facile de tenir et d’étendre. Elle ne visait pas à l’accaparement. Elle ne parlait jamais de monopole. Elle reprenait de son mieux le rôle de courtier que la nature et l’histoire lui avaient toujours donné entre les civilisations plus avancées de l’Occident et les humanités plus rudes du Nord et de l’Est. Sa marine et ses placiers reparaissaient, après quatre siècles, dans ces ports et sur ces marchés du fond de l’Europe, où jadis les commerçans de la Hanse avaient régné pour leur plus grand profit assurément, mais aussi pour le service de la communauté européenne. Entre l’Occident industriel et les paysans de Scandinavie, de Russie ou d’Autriche, entre les quais de l’Europe atlantique et les profonds hinterlands de l’Europe orientale, l’Allemagne n’était-elle pas l’entrepôt nécessaire, et ses ports n’étaient-ils pas, aujourd’hui comme autrefois, l’étape inévitable ?

La Hanse avait eu le grand tort jadis de s’imposer par la menace ou par la force, et la révolte de ses cliens s’en était suivie. Bismarck, en affaires comme en diplomatie, ne faisait qu’offrir son honnête courtage, et son Allemagne montrait une complaisance, une promptitude, une politesse un peu serviles à se domestiquer au service d’autrui, à se contenter des profils que les maîtres du commerce mondial, les Anglais, voulaient bien lui laisser.

Cette collaboration anglo-germanique coûtait quelques sacrifices à l’orgueil des vainqueurs de 1870 : sur combien de produits, sur combien de façades, s’étalait le nom de firmes anglaises aux lieux et places de noms allemands ! le pavillon britannique couvrait combien d’envois et combien d’affaires dont les statistiques anglaises se glorifiaient devant le monde et dont le mérite revenait à l’effort allemand !… Mais les bénéfices en revenaient aussi à la bourse allemande : au seigneur anglais, la gloriole ; au travailleur germanique, le gain sonnant. Sans l’hospitalité anglaise, dont abusait si étrangement le clerk-espion ; sans le crédit anglais, dont le juif allemand faisait profiter ses compatriotes chez ses congénères britanniques ; sans les marques et les signatures anglaises, dont se servait tout