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commercial, en abandonnant à son sort l’agriculture. Ou bien elle pouvait créer pour l’agriculture une compensation à la rigueur des temps et combattre la transformation de l’Allemagne en un État industriel pour conserver une agriculture vigoureuse à côté d’une puissante industrie. »

C’est au premier de ces deux partis que l’expérience quotidienne avait amené l’Angleterre du XIXe siècle : pour devenir la plus grande usine et le plus grand comptoir de l’univers, elle avait dû assurer à son industrie et à son commerce le ravitaillement le plus intense et aux plus bas prix, ne voir dans les fournisseurs que leurs offres et non pas leur nationalité ; elle avait en lin de compte sacrifié l’agriculture anglaise, qui ne pouvait produire que beaucoup plus cher, aux agriculteurs du Continent et de l’univers, qui nourrissaient les Anglais et leur usine au meilleur marché possible.

C’est au second parti que, devenu chancelier, s’arrêta M. de Bülow ; il établit en conséquence son tarif douanier de 1902 : « Avec les lois douanières de 1902, écrit-il, j’ai pris ce chemin en toute connaissance de cause et par intime conviction qu’une agriculture prospère nous est indispensable du point de vue économique, mais plus encore du point de vue national et social. Je demandais, il y a quelques années, à un parlementaire de la gauche libérale : « Si les mauvais jours survenaient, soit une guerre acharnée, soit une révolution sérieuse, pensez-vous qu’à l’heure du danger, les forces qui ont fait la grandeur de la Prusse puissent être complètement remplacées par nos nouvelles couches sociales, commerçantes et industrielles, quelles que soient leurs qualités et leurs capacités ? » Mon antagoniste politique et ami personnel réfléchit un instant et dit : « Vous avez raison : gardez-nous l’agriculture et même le hobereau. »

Mais conservant le hobereau et maintenant l’agriculture, peut-être aurait-il fallu renoncer à cette conquête industrielle et commerciale de l’univers à laquelle l’Angleterre du XIXe siècle avait dû sacrifier son squire et son gentleman-farmer. L’Angleterre avait pourtant sur l’Allemagne des avantages naturels qui auraient dû lui épargner ce sacrifice ; mais les nécessités immanentes, la force irrésistible des choses, le lui imposèrent, et quand, à la fin du XIXe siècle, l’impérialisme de M. Chamberlain se proposait de restaurer l’agriculture anglaise, il acceptait