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aussi de renoncer à l’exploitation du monde pour ne garder qu’un commerce « panbrilton » derrière les tarifs protecteurs d’un empire unifié. L’Allemagne de M. de Bülow se crut bien plus forte que l’Angleterre de Robert Peel : n’ayant que deux bras comme tous les humains, elle voulut porter sur l’un une lourde et grosse agriculture, sur le second une colossale industrie et sur le troisième un commerce universel ; exigeant de ses usines la production la plus intensive pour alimenter son comptoir mondial, elle voulut ne leur fournir les matières premières qu’au prix le moins bas, la main-d’œuvre qu’au gage le plus cher et la nourriture de cette main-d’œuvre qu’aux cours les plus hauts…

Du moins, la politique douanière de M. de Bülow ranima l’agriculture allemande et ramena les beaux prix de Bismarck. Le seigle, qui se vendait 187 marks en 1880, 170 en 1800 et 142 en 1900, rebondit à 160 en 1906, à 168 en 1911 et, de 1905 à 1913, ne descendit jamais plus bas que 151. La courbe des autres céréales fut la même ; la baisse du sucre s’arrêta, et celle de l’alcool pareillement, et le hobereau fut heureux, et il eut beaucoup d’enfans pour le service du roi de Prusse. Mais le patron cria au renchérissement, et l’ouvrier à la famine, et, les nouveaux droits étant plus élevés encore sur la viande que sur les grains, on eut dans tout l’Empire la « crise de la viande. » Il aurait fallu que les bénéfices de l’industrie et du commerce leur permissent une hausse importante de tous les salaires. Mais les temps n’étaient plus où la main-d’œuvre allemande était réputée pour ses accommodemens faciles : le travailleur allemand avait peu à peu conquis des salaires de beaucoup supérieurs à ceux des autres Continentaux, à peine inférieurs à ceux des Anglais. Et pour les mêmes raisons que l’agriculture, mais plus rapidement encore, l’industrie allemande était en train de perdre en Europe et dans le monde son incontestable supériorité.

La technique industrielle est encore moins attachée à un soi ou à un tempérament national que la technique agricole. L’homo sapiens pouvant se rencontrer dans toutes les communautés humaines, l’industrie savante recrutait partout des adeptes, sitôt qu’elle apparaissait comme une condition de succès, — à plus forte raison, quand elle devint une condition de vie. Au cours du XIXe siècle, l’empirisme anglais avait encore laissé