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développement d’un livre et devint la Vie de Mirabeau. Écrit à propos de l’étude magistrale de L. et Ch. de Loménie, ce livre de vulgarisation ne prétend apporter aucune lumière nouvelle, mais seulement préciser le sens des documens qui venaient d’être jetés à profusion dans la circulation. Avec l’honnêteté qu’on lui connaît, Mézières ne pouvait manquer d’être révolté par les vices de l’homme privé ; mais son admiration pour l’homme d’État emporte tout. Il constate la vénalité de Mirabeau ; mais il remarque qu’elle n’a pas modifié sa conduite politique : Mirabeau s’est fait payer pour soutenir les idées qui étaient les siennes. Lui seul était capable de guider la Révolution : sa mort a été une calamité pour la France… Mézières était, en toute occurrence, l’homme juste, mais indulgent.

Il manquerait un trait à sa physionomie, si nous oubliions de dire qu’il fut un causeur charmant et un homme du monde entre les plus aimables. C’est encore une de nos meilleures traditions que la politesse et l’esprit de conversation : sachons gré à ceux qui nous la conservent, aux professeurs qui ne se résignent pas à être des pédans, aux écrivains qui ne se contentent pas d’être des gens de lettres. Mézières a été un assidu des derniers salons où l’on cause, sous le second Empire et la troisième République. Chez le duc Victor de Broglie, où le comte d’Haussonville l’avait introduit, il assistait à des passes d’armes entre Doudan et Cuvillier-Fleury. Quai Malaquais, chez Mme Alexandre Singer, il rencontrait Octave Feuillet et Prévost-Paradol. Il a monté, place de la Madeleine, les cinq étages de Jules Simon. Chez la comtesse d’Agoult, il s’est lié avec Emile Ollivier. Chez Mme Aubernon, il a pris la parole, sous la protection de la fameuse sonnette. « On se sentait alors si à l’aise, si bien soutenu par l’attention de tous, il se dégageait de ce milieu intellectuel une telle quantité de fluide, que des gens d’ordinaire peu communicatifs y devenaient éloquens. Je garde le souvenir d’improvisations merveilleuses qui ne se seraient pas produites ailleurs, qui naissaient sur place du frottement, de l’excitation de tant d’esprits distingués. » Tous ceux qui ont été admis dans cette maison brillamment hospitalière ont les mêmes souvenirs. C’est surtout depuis son entrée à l’Académie que Mézières s’était répandu dans le monde. Comme disait Labiche, « on est nourri. » Il plaisait par sa bienveillance universelle, qui mettait du liant