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est vrai que nos adversaires, aussi prompts dans l’exécution qu’avisés dans la conception, aient la ferme intention de faire du port bulgare un nouveau Zéebrügge.

Cet avantage, qui pourrait avoir de sérieuses conséquences, aurait été longtemps contesté aux Allemands, si l’on s’était mis, à temps, en mesure de disputer le cours inférieur du Danube aux monitors, aux canonnières, aux « Patrouillen-boote[1] » des Autrichiens. C’est à Routschouk, en effet, à peu près à égale distance des Portes de Fer et du delta Danubien, que s’amorce le chemin de fer qui conduit à Varna. C’est encore à Routschouk qu’il faut passer pour aller, par une série de voies capricieusement tracées, à Bourgas, le deuxième port de la Bulgarie[2]. L’intérêt de la possession du cours du Danube n’était donc pas douteux, depuis trois mois, pour les Russes. Il n’y avait pas lieu de s’arrêtera l’interdiction de faire pénétrer des navires de guerre dans cette partie internationalisée du fleuve : les événemens militaires abrogeaient toutes dispositions de ce genre. On ne s’y arrêta pas, en fait, et les lecteurs de la Revue des Deux Mondes se souviennent qu’au commencement de novembre des chalands de munitions destinées aux Serbes et escortés par des canonnières russes furent arrêtés à Turn Severin par le gouvernement roumain qui, pour éviter des contestations délicates, acheta chalands et canonnières au gouvernement russe. Aussitôt après cette singulière opération, les monitors autrichiens prenaient possession du Danube Bulgaro-Roumain, et les premiers arrivages de munitions et de matériel militaire, — destinés cette fois aux Bulgares et aux Turcs, — étaient signalés à Viddin, à Nikopoli, à Routschouk.

J’ajoute que, de l’aveu de nos adversaires communs et aussi des principaux organes de l’opinion publique en Roumanie, le droit des Russes n’était pas contestable. La Strässburger Post du 26 novembre le reconnaît nettement : « le Danube, dit ce journal pangermaniste, fait partie du territoire bulgare, au moins jusqu’à son thalweg, qui forme la limite du royaume

  1. Ce sont de fortes « vedettes, » de 36 à 38 tonnes de déplacement, mues par des moteurs à explosion et armées de deux mitrailleuses. Ces petits bâtimens filent 14 nœuds.
  2. A Nikopoli, en amont de Routschouk, s’amorce une voie ferrée qui suit à peu près le Vid et aboutit à Sofia. Mais, avec cette ligne, d’ailleurs très exposée en cas d’offensive d’un adversaire de la Bulgarie venant de l’Ouest, le détour est considérable pour aller à Bourgas.