Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publierons quelque jour, disait Lucas de Montigny, d’après le manuscrit autographe, cet éloquent sermon, qui, par le sujet et par la forme, diffère essentiellement des autres ouvrages de l’auteur, et doit, à tous égards, faire beaucoup d’honneur à sa mémoire[1]. » Cette promesse que Lucas de Montigny faisait en 1834, il ne l’a jamais tenue, et voici que, quatre-vingts ans après, l’œuvre que j’ai découverte dans le fatras des papiers de Mirabeau (Archives des Affaires étrangères, vol. 1888) paraît enfin.

Au sortir du donjon de Vincennes, où il avait été enfermé pendant quarante-deux mois, en raison de ses déportemens et de sa vie scandaleuse, Mirabeau s’était retiré à Neuchâtel où il cherchait à vivre de sa plume. Une pension de 600 francs, beaucoup trop insuffisante, pendant sa détention, l’avait amené à écrire de honteuses pages comme celles de l’Erotika Biblion, et Ma Conversion que suivirent les Lettres de cachet et les Prisons d’État, ouvrage politique inspiré par l’horreur de la tyrannie. Mirabeau écrivit d’autres brochures de ce genre, comme la lettre sur l’Ordre de Cincinnatus et Les doutes sur la liberté de l’Escaut. Entre temps, il composa la dissertation religieuse dont je vais parler, qu’il appelait lui-même Sermon sur la nécessité d’une autre vie et sur les consolations dues à l’homme juste.

Avant de publier et d’étudier ce travail particulier, dont on saisira bientôt l’importance philosophique, et j’ose dire l’actualité, — car en ces heures angoissantes de périls ininterrompus où la Mort plane sur toutes- les têtes, qui ne songerait au par-delà ? — il convient de se demander si Mirabeau était convaincu de son sujet. Croyait-il réellement à un Dieu, à une âme immortelle, à des sanctions futures ?

Comment avait-il été élevé ? Que pensaient et que lui disaient ses parens ? A cinq ans, Mirabeau répondait à Poisson, son précepteur, qui l’avait invité à écrire ce qui lui passerait par la tête : « Monsieur Moi, je vous prie de prendre attention à votre écriture et de ne pas faire de pâtés sur votre exemplaire ; d’être attentif à ce qu’on fait : obéir à son père, à sa mère, à son maître : ne point contrarier. Point de détours ; l’honneur surtout : n’attaquez personne, non qu’on ne vous attaque. Défendez votre patrie. Ne soyez point méchant avec les domestiques. Ne familiarisez pas avec eux. Cacher les défauts de son prochain,

  1. Mémoires de Mirabeau, t. IV, p. 174.