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ses congénères, l’arrivée prochaine du Messie à l’aide de signes précurseurs qu’il voyait dans tous les grands événemens de son époque, et qui le menèrent auprès du Protecteur Cromwell dans, l’été de 1656.

On verra combien cette « Révélation, » qui illumina Menasse, fut funeste à ses deux amis, à Spinoza et à Rembrandt, tandis qu’il pèlerinait en Angleterre, auprès de ce nouveau Messie que les arcanes de la Cabbale lui avaient signalé.

Cette doctrine fut cependant utile au jeune lévite, car il est évident que Spinoza sut extraire, par une sublimation spirituelle, du lourd fatras de la Cabbale, la pure essence de sa conception panthéiste de Dieu ; mais, avant d’atteindre aux sommets de ces spéculations philosophiques, il dut tout d’abord descendre, avec ses professeurs, aux derniers degrés de l’aberration systématique, où ils croyaient de leur devoir de l’entraîner.

Le clairvoyant esprit du jeune homme sut bientôt discerner dans la profondeur des ténèbres talmudistes les vérités qu’elles révélaient ; à l’exemple de Rembrandt qui savait extraire de l’ombre ardente tout ce qu’elle contenait de lumière latente, condensée sous son pinceau en un foyer étroit, et d’autant plus vibrant, qu’il exaltait non seulement des formes, mais aussi des expressions, sublimifiées par son génial esprit. Aussi, le jeune lévite fut-il très vite averti de l’erreur de ses maîtres ; mais lorsqu’il voulut la leur signaler en soulevant quelques objections de principe, il se heurta tout de suite à l’intransigeance hautaine de Saül Morteira et aux menaces d’anathème du vieil Isaac Aboad.

« Spinoza était d’un caractère bienveillant et doux, de goûts simples et de maintien modeste ; » pour ne pas heurter de front ses protecteurs, il prétexta l’obligation d’apprendre le latin, qu’on n’enseignait pas à l’école hébraïque, pour se détacher de la Synagogue et reprendre peu à peu sa liberté.


V

Il entra, au pair, comme second répétiteur de latin, chez un médecin français, se disant catholique, François Van der Ende, qui l’enseignait aux fils des notables bourgeois de la ville. Émigré en Hollande, à la suite d’on ne sait quelle aventure, cet esprit très distingué devait finir lamentablement sur un