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Il est à remarquer que, durant les derniers mois, avant sa mise en faillite, Rembrandt était non seulement très actif, très en verve, mais très recherché. Il peignit en effet, pour la Gilde des Chirurgiens, cette Leçon d’anatomie du professeur Deyman, avec neuf personnages de grandeur naturelle, dont il ne reste plus qu’un merveilleux fragment au Rijskmuséum ; puis le portrait d’Arnold Tholinx, de nouveau réélu au titre d’Inspecteur du Collegium medicum d’Amsterdam et conseiller de la ville, depuis un an déjà. Trois autres portraits, marqués de cette date, sont aussi parvenus jusqu’à nous, sans compter les grandes compositions, comme « Jacob bénissant les fils de Joseph, » « Saint Jean-Baptiste prêchant » et « le Maître de la vigne ; » puis des eaux-fortes comme « Abraham et les anges » et le merveilleux « portrait de J. Lutma le vieux. »

Ses revenus du début de 1656 ne furent donc pas inférieurs à 10 000 florins.

Au contraire, on ne trouve que des portraits de lui-même pour l’année 1657, ou des études qui ne sont pas des portraits. Si l’artiste n’avait pas été abandonné de ses riches et puissans amis au pouvoir et boycotté systématiquement par la bourgeoisie d’Amsterdam, il aurait pu se libérer très vite ; car la première vente de ses biens n’ayant eu lieu que dix-huit mois après la déclaration judiciaire de son insolvabilité, il leur eût été bien facile de lui commander quelques toiles, ou d’organiser un petit consortium pour faire rapporter cette décision désastreuse.

Cette mesure apparaît ainsi, non plus comme un acte conservatoire en faveur de ses créanciers, mais comme une décision, d’allure politique, prise sous le couvert d’une procédure civile et régulière.

En effet, son principal créancier, Cornelis Witsen, qui lui avait prêté 4 000 florins, lorsqu’il était bourgmestre en 1653, occupait alors l’une des plus hautes charges de l’Etat avec le litre de Président du Collège de l’Amirauté d’Amsterdam[1]. Certainement il dut se sentir particulièrement visé par les récriminations bruyantes et justifiées de ceux qui, avec Rembrandt,

  1. C’est lui qui figure comme capitaine de la garde civique dans le « banquet » de Van der Heltz et qui fut l’instigateur de la campagne en faveur de ce peintre contre Rembrandt. Comment celui-ci fut-il amené à lui emprunter cette somme ? C’est ce qu’il serait intéressant d’élucider.