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Cette œuvre d’art, d’une exécution superbe et magistrale, peinte de verve avec des morceaux d’un brio étourdissant, serait donc inexplicable comme conception, si l’on écartait les enseignemens qu’elle nous fournit par sa date et que l’histoire d’Amsterdam, celles de Rembrandt et de Spinoza complètent heureusement, d’autre part, pour en constituer la preuve formelle et décisive d’un lien étroit entre les deux plus hauts génies de la Hollande.

Il existe un autre tableau de Rembrandt, de 1657, qui fortifie cette thèse. C’est un « Pilate se lavant les mains ; » il représente vraisemblablement Lambert Reynst, le maire d’Amsterdam, qui aurait pu arrêter les poursuites et qui est représenté avec certains attributs officiels.

On voit donc Rembrandt tenir à Amsterdam le même rôle que Pascal jouait alors à Paris en publiant ses Provinciales.

Il est dans l’histoire des peuples longtemps en tutelle, parvenus brusquement à la liberté, des événemens singuliers qui sont comme ces vagues de fond chavirant des navires dans le calme apparent d’une mer sans rides. Amsterdam ne pouvait échapper à cette rançon de la pensée libre. Il est même curieux de voir Spinoza et Rembrandt frappés pour des délits d’opinion, dans une ville dont le premier célébrera dix ans plus tard le libéralisme en matière religieuse par ces paroles empreintes d’une sérénité singulière après le malheur qui l’avait frappé : « Dans une République libre il doit être permis d’avoir telle opinion que l’on veut et même de la dire. Je n’alléguerai pour exemple que la ville d’Amsterdam qui doit sa splendeur et son opulence, que toutes les nations admirent, à cette chère liberté ; car il n’est point de nation si étrange, ni de secte si extraordinaire qui n’y vive paisiblement, et pour confier les biens à quelqu’un on n’est en peine que de savoir s’il a du bien, ou s’il n’en a pas, et s’il est un homme de bonne foi, ou accoutumé à tromper. On n’a nul égard, ni à la religion, ni à la secte pour rendre une cause bonne ou mauvaise. La querelle des Remontrans et de leurs adversaires prouve le danger qu’il y a à faire des lois touchant la religion et pour décider des controverses qui ne font qu’irriter l’esprit[1]. »

Il aurait pu ajouter que son expérience personnelle l’avait

  1. « Des superstitions des juifs. » (Spinoza.)