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institutions militaires de la France donnaient à penser qu’il n’y aurait guère de Puissance en Europe capable de s’opposer aux désirs de l’Allemagne, « si celle-ci parlait une bonne fois haut et clair. » On pourrait par exemple préparer les voies à la réalisation de ce grand empire africain qui unirait les possessions allemandes de l’Ouest et de l’Est. Sans doute, c’était là un bien vaste programme pour être réalisé dès cette époque, mais il y avait « quelque chose à faire, » d’autant que la France semblait vouloir agir au Maroc et qu’on pouvait à la rigueur mettre en avant ce prétexte pour engager la conversation.

On sait comment cette singulière conversation fut menée par l’Allemagne de 1905 à 1911 ! Tanger, Algésiras, Casablanca, Agadir, sont encore dans toutes les mémoires et il n’y a pas lieu de refaire ici cette histoire de la question marocaine, qui est en somme celle des déceptions coloniales de l’Allemagne. Mais si les à-coups, les hésitations, les volte-face du gouvernement allemand pendant cette période justifient pleinement ces échecs et les véhémens reproches d’inconstance que ne lui a pas ménagés l’opinion germanique, il s’en faut de beaucoup cependant que les résultats positifs acquis par l’Allemagne au point de vue colonial aient été si négligeables que ces pangermanistes ont bien voulu le dire. Sans doute, le général de Bernhardi considérait-il comme un leurre la clause de la porte ouverte au Maroc, et Frymann, dans son pamphlet célèbre Si j’étais l’Empereur, n’hésitait pas à considérer que le Maroc, tant à cause de ses richesses minières et agricoles que comme pays de peuplement, aurait dû être l’objectif essentiel de la politique coloniale allemande. Mais ce même Frymann disait ailleurs fort justement que « toute colonisation en dehors de l’Empire ne devrait naturellement être envisagée qu’une fois achevée au préalable notre colonisation intérieure, » et il entendait celle-ci dans le sens large, puisqu’il insistait sur la nécessité de renforcer le peuplement allemand dans les parties peu populeuses de l’empire austro-hongrois. Il était donc plus juste de penser avec l’économiste Paul Rohrbach que la politique allemande avait eu raison de ne considérer l’affaire du Maroc que comme un moyen de pression sur le gouvernement français, pour obtenir ailleurs des avantages appréciables : il ne fallait pas, d’après lui, mettre en balance l’ensemble du Maroc et les enclaves obtenues de la France au Congo, mais bien les droits