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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/252

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les fonctionnaires chargés de la correspondance ou du service de réception. La même chose d’ailleurs se passait chez nous, avant la guerre. Nous n’avons pas assez remarqué cette lente conquête des hôtels par les Allemands, non seulement en France, mais dans le monde entier : ce sont là des postes d’espionnage tout indiqués. On peut être sûr que nos ennemis en ont largement profité. En Espagne, où la vie de café répond à une sorte de besoin national, ils ont multiplié, à côté des grands hôtels, et quelquefois dans ces hôtels mêmes, les cafés colossaux, véritables « Palaces, » où se succèdent, en une enfilade interminable, des salles de consommation, des restaurans, des salles de billard, des salles de bal, des cinémas, et jusqu’à des tirs aux pigeons.

On a rempli ces locaux neufs, ou modernisé les anciens, avec des articles allemands, bien entendu, — avec de la camelote allemande, avec les inventions les plus saugrenues de l’art nouveau allemand. Dans de modestes hôtels de province, et jusque dans des buffets de gare, j’ai pu contempler des boiseries du plus pur style germanique, des revêtemens de tôle émaillée ou de verre peinturluré, d’un horrifique effet. Cette déroute de la couleur locale s’est accomplie à petit bruit, pendant de longues années d’infiltration discrète : les Allemands excellent à s’insinuer dans un pays, à pas feutrés, en évitant avec soin d’alarmer le patriotisme des indigènes. Ils s’évertuent même à le flatter. Mais, aujourd’hui, comme s’ils étaient en possession de la victoire, ou assurés de n’éveiller que des sympathies, ils répudient tout ménagement. Ils se montrent au grand jour, avec fracas, ils battent la grosse caisse autour de leurs produits comme autour de leur politique. Dans une foule de magasins espagnols, l’article allemand fait prime. Il est annoncé, exposé à grand renfort de réclame, une réclame agressive, belliqueuse, qui crève les yeux du badaud. Pendant mon dernier séjour à Madrid, au sommet de la plus haute maison de la Puerta del Sol, visible de tous les coins de la place et de toutes les rues avoisinantes, une inscription lumineuse, en lettres colossales, resplendissait pendant toute la nuit, éclipsant les feux des plus brillans éclairages : Planchado Aleman, blanchissage allemand. On ne pouvait pas traverser le célèbre forum madrilène, le cœur de la capitale espagnole, sans être aveuglé par cette réclame fulgurante à la gloire du blanchissage allemand. Il faut croire