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d’ailleurs que ce blanchissage est fort apprécié en Espagne et que les élégans de Madrid ne se font plus blanchir à Londres, mais à Berlin. Dans une foule de villes, j’ai constaté le triomphe du planchado aleman. L’essentiel, pour les ingénieux metteurs en scène de la Puerta del Sol, c’était assurément beaucoup moins de recommander leur glaçage ou leur lessivage spécial, que de faire flamboyer le mot Aleman au plus haut des cieux, par-dessus les vaines agitations des foules étrangères : Deutschland über alles ! Plus tard, à Saragosse, pendant les fêtes de la Vierge del Pilar, je remarquai, au dernier étage d’une maison de la place de la Constitution, un immense drapeau aux couleurs germaniques arboré derrière l’écusson du Consulat d’Allemagne. Le pavillon allemand semblait présider aux réjouissances publiques. Qu’on ne dise pas que ce sont là des enfantillages. Le drapeau allemand signifie la présence allemande dans un pays (il signifiait de plus, en cette circonstance, une habile flatterie au catholicisme espagnol). La diminution de notre influence à l’étranger aurait dû nous apprendre depuis longtemps que les absens ont toujours tort.

La présence réelle, nombreuse et agissante, des Allemands, en Espagne, n’est malheureusement que trop vraie. On assure qu’ils sont au moins 50 000 dans la Péninsule, la plupart groupés à Madrid et dans les villes frontières, comme Barcelone et Saint-Sébastien. Il est bien difficile, en ce moment, de vérifier cette assertion et de fixer un chiffre. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on les rencontre partout : que ce soient les vétérans de la colonie allemande, commerçans ou industriels fixés depuis longtemps dans le pays, ou le flot des immigrés américains, touchés par la mobilisation et arrêtés ici faute de pouvoir rejoindre leur corps. Le long de la frontière de la Bidassoa, il y avait, cet été, une petite armée de gouvernantes, d’institutrices, d’équivoques joueuses, assidues dans les Casinos de la région, qui faisaient constamment la navette entre Irun et Saint-Sébastien, — la grande citadelle de l’espionnage allemand, — et dont le français tudesque trahissait immédiatement l’origine. A Barcelone, ils sont plusieurs milliers, hospitalisés dans un ancien abattoir, où ils s’exercent au maniement d’armes., Que des officiers allemands, plus ou moins déguisés, se mêlent à ces recrues, que certains aient même réussi à s’introduire dans des milieux militaires de compétence spéciale, on