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Néanmoins, si déplaisante pour notre amour-propre que soit cette germanophilie admirative, il serait injuste de n’y voir que de la badauderie. J’en ai causé maintes fois avec un écrivain espagnol de mes amis, qui, d’ailleurs, est francophile et qui connaît merveilleusement la littérature de notre pays : seulement, il se pique de ne nous estimer qu’à bon escient. Il me disait, non sans une certaine ironie :

— Que voulez-vous ? Nous aussi, nous cherchons des professeurs d’énergie. Beaucoup de nos compatriotes croient trouver les meilleurs en Allemagne. Quelle est donc, d’après eux, le secret de la force allemande ?… Relisez, je vous prie, dans ce discours inaugural, dont vous parliez tout à l’heure, la phrase qui vous a semblé si ridicule. Rapprochez-la de son contexte, dépouillez-la de son emphase oratoire, et vous jugerez peut-être qu’elle n’est pas si déraisonnable. L’auteur dit ceci : « La race teutonne est grande, et sa grandeur a son fondement dans son humilité : c’est l’humilité d’un peuple qui, avec la pensée, avec la conviction que tout lui manque, a voulu tout avoir ; qui, faisant peu de cas de sa science, s’est imposé un effort gigantesque pour tout savoir ; qui, supputant les perfections sans nombre dont se glorifiaient d’autres peuples et qu’il ne possédait point, a voulu à tout prix être comme eux, les égaler, les dépasser. Et en effet, dans sa légitime ambition de grandeur, il a surpassé tout ce que l’on peut dire et mesurer… » Encore une fois, ôtez les banales hyperboles de ce style ecclésiastique, et vous arriverez à préciser les raisons de notre admiration pour l’Allemagne. Au lieu de commencer par mépriser ses voisins, elle s’est évertuée à acquérir toutes celles de leurs qualités qu’elle jugeait utiles à sa propre culture. Nous autres Espagnols, nous lui savons bon gré de cette réelle modestie, nous qui avons été si souvent en butte à vos dénigremens. Peu importent ses arrière-pensées platement utilitaires ; le fait est qu’elle a tâché de bien connaître les autres peuples, soit pour agir sur eux, soit pour les dominer. Vos journalistes et même vos écrivains les plus sensés ne cessent de répéter que les Allemands ignorent la psychologie. A mon avis, c’est une erreur. En ce qui nous concerne, voyez plutôt avec quelle habileté ils ont su conduire leur propagande dans notre pays. Qu’ils y aient manqué de tact, et qu’ils en manquent généralement, c’est une autre question. En tout cas, ils ont fait preuve non