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remplissent un rôle militaire du même ordre que les voies frontières. Elles servent à jouer le jeu de navette non plus d’un point à l’autre du même front, mais d’un front à l’autre. Ces grands courans de troupes compliquent encore l’usage qu’on en fait pour les approvisionnemens. Il n’y a donc pas, en temps de guerre, de voie ferrée inutile. Pour nous en convaincre, il suffit de voir les Russes s’approvisionner de munitions par le chemin de fer de Kola et le Transsibérien.

Les pays entourés d’ennemis ont l’avantage des lignes intérieures, qui leur permettent de porter successivement presque toutes leurs forces contre chacun des groupes d’armées qui les menacent. Ce fut le grand art de Napoléon. Les chemins de fer facilitent ces déplacemens. Mais souvent ils donnent aussi les moyens de parer les coups ainsi frappés, car ils offrent autant de facilités aux mouvemens par lignes extérieures. On peut faire en très peu de jours le tour d’un pays comme la Pologne et contre-balancer l’appoint des renforts ennemis qui l’auraient traversé en ligne droite. L’avance de temps procurée par l’emploi des lignes intérieures n’est que le temps nécessaire à parcourir l’excès d’un des trajets sur l’autre. Cette avance est évidemment moindre avec des transports plus rapides. Or, pour en tirer les mêmes effets qu’autrefois, il faudrait qu’elle fût plus longue, parce que les batailles durent aujourd’hui plus longtemps. On mettait une armée hors de cause en quelques jours : elle n’avait pas le temps d’être secourue ; il faut à présent des semaines. A cet égard, le progrès restreint le bénéfice des lignes intérieures ainsi que l’influence de la plupart des artifices stratégiques et sans doute le rôle prépondérant des grands artistes militaires. Il rend plus assurées les conséquences d’une supériorité globale des forces morales et matérielles. La victoire est davantage la récompense d’un peuple, moins la réussite d’un homme.

Les autres instrumens de communication concourent avec les chemins de fer à cette transformation, en particulier la télégraphie, qui permet à des alliés de faire concorder rigoureusement leurs opérations sans contact direct, par-dessus des milliers de kilomètres de terre ennemie. L’entouré, qui si souvent a dû à son enveloppement même ses victoires les plus éclatantes, perd chaque jour de son avantage stratégique. Et les inconvéniens économiques de l’isolement l’atteignent de plus