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même pièce, a brouillé les dédicaces. Si d’ailleurs il a pu donner d’abord à la petite Napolitaine le nom qui, par la suite, est resté à la seule Elvire, c’est qu’il avait commencé par en dessiner une image qui ne lui ressemblait guère : « Cette femme angélique, écrivait Mme Charles, m’inspire jusque dans son tombeau une terreur religieuse. Je la vois telle que vous l’avez peinte, et je vous demande ce que je suis pour prétendre à la place qu’elle occupait dans votre cœur. » Non, sous ces traits de « femme angélique, » la future Graziella ne se ressemble pas à elle-même ; il en est d’elle comme aussi bien d’Elvire : elle ressemble surtout à l’image idéale de la Femme que le poète portait en, lui. C’est, modernisée, la Muse des classiques, l’inspiratrice qui personnifie pour un poète l’éternel féminin. « Elvire et le Poète qui la pleure sont des images idéales, écrit justement M. Lanson, les équivalons romantiques des Phèdre et des Oreste classiques, dont la fonction est d’exprimer, non du passé historique et individuel, mais l’éternel présent du cœur humain. » Ainsi le subjectivisme romantique rejoint l’impersonnalité classique.

On voit alors en quoi consiste le caractère général des Méditations et quelle est, dans l’histoire du cœur humain, la page qu’elles ont écrite une fois pour toutes. Les Méditations sont un livre d’amour, cela ne fait aucune espèce de doute. Si les critiques de l’époque se sont attachés surtout aux parties philosophiques ou religieuses du recueil, le public ne s’y est pas trompé. Ce public était surtout celui des femmes et des jeunes gens : il l’est resté. Du reste, entre les pièces religieuses et les pièces amoureuses il n’y avait pas désaccord ; les premières contribuaient à donner à toute l’œuvre son noble caractère et à la séparer nettement de la poésie galante du siècle précédent. Cet amour est épuré à la fois par la douleur et par le souvenir :


Je l’ai dit à la terre, à toute la nature,
Devant tes saints autels je l’ai dit sans effroi,
J’oserais, Dieu puissant, la nommer devant toi.


On a qualifié cet amour de platonique ; restituons-lui son vrai nom, qui est : platonicien. Pour Lamartine, comme pour Pétrarque, comme pour Platon, l’amour est d’essence divine. Il traduit les idées absolues du Beau et du Bien, dont il est l’émanation, le symbole terrestre et humain. Il nous ramène à