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Le plus malaisé n’a pas été de rassembler les denrées, mais de les faire parvenir. Des embûches sont semées partout dans l’Adriatique. Des trois trajets accoutumés, Vallona, Durazzo, Saint-Jean de Medua, un seul, celui de Vallona, est relativement sûr. Les escadres alliées, et notamment la marine italienne, se sont employées de leur mieux à cette œuvre qui n’a pas été sans coûter quelques sacrifices. La tempête a fait rage toute une quinzaine, telle qu’on ne se souvient pas d’en avoir vu de si furieuse. Même une fois le débarquement opéré à Vallona, il restait beaucoup à faire, pour que l’appui fût efficace. Ici encore, on se heurtait à l’hostilité de la nature : point de chemins ; des marais et des gorges, de la boue et de la neige. Les convois devaient s’engager sur une sorte de chaussée étroite, émergeant d’un pied ou deux ; d’où des lenteurs que nul certainement n’a regrettées plus que ceux qui étaient chargés d’une tâche aussi difficile. Mais l’ennemi était aux aguets, la bouche prompte à répandre le venin. De même que, l’automne passé, de prétendus neutres aux manières innocentes s’approchaient de nous et nous glissaient à l’oreille : « Méliez-vous de tel de vos alliés, il vous trahit, » de même il se rencontre des agens de discorde pour dire aux Serbes : « Méliez-vous de celui-ci, il ne se presse pas de vous nourrir. » L’identité des procédés est une marque d’origine. Mais il n’y aura que des Austro-Allemands, et peut-être des Bulgares ou des Turcs, pour y être pris.

Comme il vaut mieux dire les choses crûment, ce qui est le moyen de ramener chacune d’elles à sa valeur, nous ne feindrons point de ne pas comprendre que, par ces propos empoisonnés, c’est l’Italie qui est visée. Ce petit roman politique n’exige pas beaucoup d’imagination. Suivons-le bien. Par crainte de voir contrarier ses ambitions adriatiques, l’Italie se serait réjouie secrètement de l’infortune de la Serbie ; du moins elle n’en aurait pas été affligée, elle aurait attendu, pour lui tendre la main, qu’il fût trop tard et que tout fût fini. Une preuve ou un indice de cet abandon serait que Pierre Ier n’est pas allé à Caserte, où l’ancien palais des rois de Naples avait été préparé à son intention ; il serait resté à Brindisi, sur le contre-torpilleur qui l’avait apporté et qui allait le remporter, refusant toute visite, et premièrement celle des officiers et fonctionnaires italiens. Sur quoi le Corriere della Sera a eu raison de faire observer (puisqu’il est sage de démentir même ce qui se dément de soi) que, pendant les cinq jours qu’il a passés à Brindisi, le Roi, quoique souffrant, était descendu souvent à terre ; il se rappelait avec reconnaissance l’accueil qu’il y avait reçu ;