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mesures spéciales contre eux. Les consuls des Puissances neutres le savent. » Mieux informé, plus tard, le comte Bernstorff présenta au secrétaire d’Etat Bryan un rapport du consul général allemand de Trébizonde, justifiant les massacres par cet argument que « les Arméniens trahissaient le gouvernement turc et aidaient et soutenaient en secret les Russes. » La presse allemande adopta la thèse du baron de Wangenheim et soutint avec ardeur que l’Allemagne n’avait pas à s’immiscer dans les affaires intérieures de l’Empire ottoman. Le comte Ernest Reventlow, dans la Deutsche Tageszeitung, se signala par son zèle ; il déclara que « la Turquie avait non seulement le droit, mais le devoir de châtier les Arméniens rebelles et avides de sang. » Les protestations de la presse neutre ont fini par soulever quelque émotion en -Allemagne ; on a craint l’effet des « horreurs d’Arménie » sur le sentiment public yankee. Selon sa tactique ordinaire, la presse allemande, prévoyant l’accusation, prit l’offensive et s’efforça de démontrer que tous les torts étaient du côté des Arméniens. Dans les récits allemands, c’est toujours l’agneau qui trouble le breuvage de messire loup. Une brochure apologétique vient de paraître à Berlin[1] ; nous n’avons pu réussir encore à nous la procurer, mais nous avons l’article par lequel le comte Reventlow la résume et la recommande avec chaleur au public. Ce sont les Arméniens révolutionnaires qui, à l’instigation de la Russie et surtout de l’Angleterre, ont préparé des révoltes et des trahisons ; les Turcs n’ont fait que se venger. Les argumens de Bretter, adoptés par Reventlow, sont vieux de vingt ans et paraissent maladroitement remis à neuf. « Il sera prouvé, écrit Bretter, que l’Angleterre, avec l’aide de la Russie et de la France, a provoqué de nombreux complots en Arménie, dans le dessein d’amener, au moment où les Alliés auraient pénétré dans les Dardanelles, un soulèvement général… Par malheur pour les Arméniens, la révolte éclata prématurément, et, en même temps, la conjuration fut révélée aux Turcs. » Et Reventlow conclut : « Il serait grand temps que les Allemands comprissent au moins d’où provient le bruit fait au sujet des atrocités arméniennes. Qu’ils comprennent enfin que ce n’est pas notre affaire de nous apitoyer sur le sort des révolutionnaires et usuriers

  1. C.-A. Bretter. Die Armenische Frage. Concordia. Deutsche Verlagsanstalt, Berlin.