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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/577

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l’enseignement réformé, la part que Calvin faisait au cœur s’était voilée, mais les thèses intellectualistes de Calvin, passant par les lèvres de ses successeurs, se faisaient de plus en plus anguleuses, de plus en plus provocantes. Comme les soldats, sur les murailles, braquaient d’une lourde main les lourdes armes et voulaient que l’étalage même de ces armes fût une insulte pour l’ennemi, ainsi les théologiens braquaient-ils leurs syllogismes avec des mines hostiles.

Dieu, tout en haut ; et puis, découlant de son essence, deux attributs : sa miséricorde et sa justice ; et puis, comme conséquence et révélation de sa miséricorde, la prédestination d’un certain nombre d’hommes au ciel ; et comme conséquence et révélation de sa justice, la prédestination de tous les autres à l’enfer ; et comme conséquence et révélation de sa souveraineté, la prépondérance dans ses conseils, soit de sa miséricorde, soit de sa justice. Tout cela se déroulait, désormais, avec une logique cruelle, qui faisait servir à la gloire de Dieu, et déposer en quelque sorte pour sa justice, les cris éternels des damnés. Tel fut le Dieu de Genève au XVIIe siècle, et il importait aux docteurs de Genève qu’on ne le leur changeât pas.

Ils furent informés qu’aux Pays-Bas s’étaient insinuées dans les esprits, par l’enseignement d’un certain Arminius, quelques doctrines qui rendraient Dieu moins dur, l’homme moins esclave, et la prédestination moins fatale. Ils dépêchèrent à Dordrecht, en 1618, les plus illustres d’entre eux, Jean Diodati, premier traducteur de la Bible en langue italienne, et Théodore Tronchin, pour rendre témoignage en faveur du vrai Dieu de Calvin ; et tout en même temps, de Genève même, leur président Benedict Turrettini, dans une lettre qu’en leur nom il écrivait au Synode, comparait les Arminiens à des « voleurs qui se glissent dans un incendie pour faire main basse », et revendiquait le droit absolu des articles de la Foi à rester « immuables au fond du trésor d’une bonne conscience. »

Les deux messagers de la lointaine Genève furent les maîtres du Synode : à leur voix, l’hérésie arminienne fut condamnée. Mais cela ne leur suffisait pas : une fausse doctrine, à leurs yeux, relevait du glaive. Tandis que les théologiens étrangers affectaient de s’effacer lorsqu’on discutait si le gouvernement des Provinces-Unies devait châtier ces hérétiques, Tronchin et Diodati, sans crainte de s’immiscer dans les affaires juridiques