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L’ALSACE À VOL D’OISEAU.

tandis que glissent sur eux les oiseaux migrateurs, les divines idées, sans pouvoir en saisir une seule ?

« Cette nuit passée au bord du Rhin me laissa une défiance invincible pour le fleuve violent, qui ronge ses rives et emporte dans ses ondes verdâtres les arbres et les barques arrachées. De la plaine hantée par tous les oiseaux du ciel, de la plaine sans limite qui disperse l’esprit, je me tournai vers la montagne. Ah ! la montagne ! elle représente ce qui demeure immuablement. Elle est en quelque sorte la figure visible de l’Éternel. Avec leurs larges croupes et leurs formes ondulées, nos Vosges ne sont pas une barrière infranchissable entre l’Alsace et la France. Des cols faciles, des vallées riantes les unissent. Ces forteresses boisées sont aussi des autels pour la prière et la pensée. Elles invitent l’homme de la plaine à gagner leur hauteur pour voir plus loin. À moi aussi une voix intérieure me disait : Recueille-toi en toi-même et rassemble-toi vers les sommets. Regarde ces petites villes gracieuses avec leurs tours et leurs enceintes fortifiées qui se serrent à l’embouchure des vallées et aux flancs des montagnes ; regarde ces châteaux forts qui les dominent farouchement comme des nids d’aigles ; regarde ces armées de sapins qui montent à l’assaut des cimes ; vois ces pierres dressées qui couronnent les sommets ; tout monte, tout se concentre et veut être soi. Fais comme eux, ramasse-toi dans ton essor et puis ressors de toi-même comme ces rochers de granit qui percent les assises de la montagne pour surplomber la robe des forêts, — et tu seras fort et libre dans ta volonté.

« J’essayai, je m’efforçai. Les cimes de la Haute et de la Basse-Alsace me permirent de belles élévations sans m’apporter la paix. D’ici, du Menelstein, du centre et du cœur du pays, j’avais beau découvrir la flèche de la cathédrale de Strasbourg et les cimes lointaines des Alpes, elles ne me disaient pas l’énigme de l’Alsace. Au couvent de Sainte-Odile, je vis les joyeux gars du pays et les payses, coiffées de leurs bonnets argentés et de leurs rubans de moire aux grandes ailes, accourir à la fête patronale de la Sainte, par cet instinct obscur qui réunit le peuple autour d’une grande figure du passé. La charité sublime, qui permit à la fille d’Atalric de dompter le cœur farouche de son père, ne pouvait me révéler ma propre destinée et celle de mon pays. Il y avait encore trop d’Allemagne et trop de brume pour moi dans cet horizon, il me fallut aller jusqu’au