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Schneeberg, où l’on voit la Lorraine, jusqu’au Donon où l’on touche la France, pour assouvir mon besoin de lumière et de lignes précises. Je ne me sentis chez moi, je ne respirai l’air de la patrie, qu’à l’humble maison de Domrémy où est née Jeanne d’Arc. Oh ! celle-là était ma Sainte, l’héroïne libératrice. Sainte Odile, dit-on, recouvra la vue sous l’eau du baptême et fonda un couvent. Jeanne d’Arc, la Voyante née, la vierge guerrière, créa une patrie par l’amour sans crainte, par la foi combative et le sacrifice de sa vie. Oui, à Domrémy, je trouvai le cœur de la France et le secret de sa destinée, mais où trouverai-je le secret de l’Alsace ? »

IV. — L’ÉNIGME ALSACIENNE

— Vous en êtes peut être plus près que vous ne croyez, répondis-je. Car ce récit palpitant, qui résume votre expérience vitale, m’en donne la clef.

Les deux mouvemens d’âme qui ont réglé votre destinée, celui d’expansion et de concentration, furent aussi ceux de l’âme alsacienne pendant sa longue histoire ; c’est en quelque sorte le rythme de sa respiration et la loi de sa vie intellectuelle et morale. Il me semble qu’on pourrait y trouver le mot de son énigme. Souvenez-vous et regardez en vous-même. Dans vos courses et vos voyages, vous vous êtes dispersé par la plaine, au bord du Rhin et vers les Allemagnes, pour vous rassembler ensuite sur vos cimes natales et vous retrouver vous-même en France. En croyant que vous n’apportez rien de nouveau à cette France, vous oubliez l’étincelle celtique jaillie du fond de votre âme sur ces hauteurs. Cette étincelle couve au fond de la nation française, elle dort mystérieusement dans son sol et dans le fond de la race gauloise. Elle court des Pyrénées à la mer du Nord et de l’Atlantique au Rhin. N’oublions pas que César engloba dans sa Gaule les Alsaciens sous le nom de Séquanes et Médiomatrices, comme il fit des Belges et des Bellovaques en les appelant les plus intrépides des Gaulois. Comme l’éclat du phosphore et comme le feu du ciel, l’étincelle celtique varie d’intensité et de couleur selon les temps et les lieux. Elle est tantôt blanche, tantôt violette, tantôt cramoisie, mais c’est toujours l’éclair et la foudre. Car c’est l’étincelle de