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remplacer, certains dimanches, les petites solennités littéraires par des méditations religieuses. Le maître porta plainte, et Jacques de Gouvea, qui avait toujours sur le cœur l’équipée d’Amador, décida que, malgré son âge, cet opiniâtre passerait au réfectoire, les épaules nues, sous les coups de férule des régens. Belle cérémonie ! Les curiosités étaient en haleine. Loyola, qui en avait vu bien d’autres, se résignait à cette nouvelle humiliation, quand, à la suite d’un entretien qu’il obtint du Principal, Jacques de Gouvea parut avec lui dans la salle, où on l’attendait, et devant tous, élèves et maîtres, lui fit amende honorable. François en fut certainement ému, mais il ne se rendit pas encore. Chaque fois qu’il en avait l’occasion, il se gaudissait de ses desseins et jetait des mots de risée sur deux jeunes Espagnols, Lainez et Salmeron, que la réputation d’Ignace avait attirés d’Alcala et qui marchaient dans son ombre. Vous rappelez-vous le roman de Cervantes, et comment le Duc s’amuse des folies de Don Quichotte ? « Eh bien ! célèbre chevalier, les ténèbres de la malice et de l’ignorance ne peuvent cacher ni obscurcir la lumière de la valeur et de la vertu ! Il y a six jours à peine que votre mérite habite ce château, et déjà vous y viennent chercher de pays lointains et inconnus, non pas en carrosse ni sur des dromadaires, mais à pied et à jeun, les malheureux, les affligés, avec l’espoir qu’ils trouveront dans ce bras formidable le remède à leurs peines et à leurs travaux I » C’est sur ce ton qu’il me semble entendre François se moquer du Pèlerin. Le Pèlerin souriait et levait sur le beau Navarrais un regard qui signifiait à peu près : « Tu ne sais pas que tu me cherches ; mais tu m’as déjà trouvé, fils de mon âme ! » Ah ! que les premiers biographes, leurs contemporains, ont donc été mal inspirés de glisser si rapidement sur les juvenilia de la Société de Jésus ! N’auraient-ils pu allier à leur vénération un souci plus vif de la réalité ? Ces grandes figures ne perdraient rien à ce que nous les vissions de plus près. Cependant, un mot, çà et là, jette quelque lueur sur la stratégie qu’employa l’ancien capitaine de Pampelune pour amener la capitulation de cette forteresse basque, ou, selon l’expression pittoresque du Père Palmio, sur la façon dont usa ce grand mouleur d’âmes pour mouler le jeune François, « la plus rude pâte, disait-il, qu’il eût oncques maniée. »

D’abord, pourquoi avait-il voulu le conquérir ? Rien ne