Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seront réunies. Nous voyons se multiplier les petits États souverains dignes de figurer dans la société des nations. Dans les Balkans viennent d’apparaître les derniers-nés du monde européen ; déjà les voici qui pèsent dans la balance de la justice. Le morcellement politique est visiblement favorisé par l’émancipation progressive des colonies, qui deviennent des personnes morales indépendantes. Rien n’est plus significatif, à cet égard, que le fédéralisme anglais, dont l’autonomie du Transvaal et le Home rule irlandais forment les récentes manifestations. Le peuplement rapide de la terre agit dans le même sens ; il prépare le fractionnement de certains États disproportionnés ; il donne du poids à des peuples neufs, comme la République Argentine, ou rajeunis, comme le Japon. Des terres naguère désertes, aussi bien que des terres endormies se lèvent peu à peu des voix et des armes pour le droit. Nous allons assister à la renaissance de la Pologne et peut-être à une désagrégation du double bloc hétérogène bâti par la force injuste des empires germaniques. La paix y gagnera autant que la liberté.

C’est un acheminement. Mais, quand bien même il suffirait à rendre possible dès demain une législation internationale impérative, il est peu vraisemblable qu’on en voie sortir, du premier coup, un ordre stable et définitif. Par quelles convulsions ne faudra-t-il pas passer avant d’établir une loi sur les peuples, qui soit obéie par les forts comme par les faibles 1 Attendons-nous à des craquemens formidables dans l’édifice de paix. Plus les conflits seront entravés, plus ils deviendront violens : les forces de désordre s’accumuleront sous la contrainte, comme celles d’une vapeur comprimée en vase clos. Nous avons aujourd’hui le spectacle de deux immenses partis, qui englobent presque la totalité des populations européennes ; mais on verra quelque jour le monde se déchirer en deux moitiés ; toute la terre sera en feu.

Aussi bien, l’ère des tribunaux ne clôt pas le règne de la violence. Il fait seulement des armes un monopole réservé à la police. Et chacun sait que l’armée a son rôle de police : l’emploi légal de la force, le droit de tuer s’étendent donc, le cas échéant, à beaucoup d’entre nous. La guerre disparût-elle, qu’il resterait, rien que pour maintenir la paix entre les citoyens, non seulement des gendarmes, mais des soldats et des canons. Entre nations, il en sera de même : il faudra des sanctions, une