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La scène, dans le cadre obscur et délabré des écuries à peine éclairées çà et là par quelques rares lampes électriques, le tableau de ces exilés, criant du fond de leur misère leurs espérances et leur foi, avait un caractère de grandeur émotionnante au possible. On se serait cru transporté aux Catacombes dans une assemblée de chrétiens primitifs. Rien n’y manquait, même pas la persécution. Nous y venions comme au spectacle, bien des yeux se mouillaient au souvenir de la Patrie absente, mais trop souvent le poing ou la cravache des sentinelles allemandes venait, par ordre, interrompre la cérémonie, disperser les fidèles et les curieux.


LES HEURES LENTES

Octobre. — Les jours, les semaines se traînent avec une uniforme et désespérante lenteur. Le temps se maintient toujours magnifique et la température demeure clémente. Les couchers de soleil, surtout, sont splendides. Au crépuscule, de longues écharpes de flammes empourprent l’horizon, embrasent les toits, les clochers de la ville, auxquels elles font une auréole de feu. Des fenêtres du lazaret, je m’arrête à les contempler de longues minutes. Ils me rappellent nos ciels de France, et je sens à les regarder s’humecter mes paupières. Il n’est point de pire souffrance, a dit le poète, que d’évoquer les souvenirs heureux durant les époques de malheur.

Les jours décroissent et la nuit tombe vite à présent, nous apportant une aggravation d’ennui. Que faire et trébucher dans le noir, au milieu de ces cours sinistres ? Nous préférons nous coucher comme les poules, et notre maigre dîner avalé, blottis dans la paille, nous attendons longtemps le sommeil, échangeant à voix basse nos tristes pensées, nos espoirs toujours déçus.

A la longue, nos énergies un instant réveillées par le nouveau, l’imprévu de cette vie, le besoin de lutter contre ses difficultés, de s’adapter à ses conditions précaires, s’amollissent. Le spleen et l’abattement nous gagnent. L’absence de nouvelles principalement nous torture, murés dans cette Trappe où tout nous est hostile. J’ai mes deux frères, beaucoup de chers amis au front ; mon père est âgé, malade. Que deviennent-ils, sont-ils encore vivans ? Combien d’autres, dans le même cas, trahissent d’analogues inquiétudes, et notre angoisse se fait toujours