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plus douloureuse et plus découragée, pendant qu’au dehors, continuellement, nous entendons tirer le canon pour célébrer les victoires allemandes.

Depuis quelque temps toutefois, les salves triomphales se font plus rares, bientôt même elles cessent complètement. Les officiers ne viennent plus le matin nous annoncer avec arrogance de nouveaux exploits de leurs invincibles armées. Pareil silence nous surprend. Que se passe-t-il donc ? Notre isolement du monde extérieur, notre ignorance, sont toujours aussi complets ; cependant, une lueur d’espérance vient filtrer dans notre âme. Nous discutons entre nous, les imaginations travaillent, s’enfièvrent ; nous échafaudons les hypothèses les plus aventureuses.

J’ai toujours entendu dire que dans une foule surexcitée les courans de nouvelles bonnes ou mauvaises se formaient spontanément, et je vérifie sur place la réalité de cette assertion. Le bruit se répand parmi nous d’une grande victoire française, de l’entrée de nos troupes à Strasbourg. C’est une joie folle dans tout le camp, que partagent fraternellement nos amis les Russes. Les plus illusionnés se voient déjà rentrés chez eux pour la Noël et parlent de réveillons pantagruéliques.

La vérité, quand nous l’apprenons, est moins prestigieuse. Un sous-officier trouva par hasard dans la cour un lambeau déchiré de journal suisse roulé en tampon et se hâta de l’apporter. Il contenait un récit ancien déjà, et malheureusement incomplet, de la bataille de la Marne, de la défaite subie par les hordes germaniques. On se le passe incontinent de main en main, et les commentaires de s’amplifier à l’entour.

Ce n’était pas la victoire écrasante, décisive dont nous rêvions, seulement un retour de fortune, un début plein de promesses. Telle quelle cependant, cette révélation nous électrisa, nous rendit le courage et la foi.

Du coup, nous en oublions nos souffrances, notre dénuement, toutes nos mortelles anxiétés. Pour réagir contre l’affaissement, des jeux tumultueux s’organisent : barres, saute-mouton, cheval fondu. Nous sommes redevenus des enfans et je me crois retourné au collège.

Les Français, affirme la chanson, « seront toujours Français. » Elle n’a pas tort, et notre amour national du théâtre trouva même l’occasion de se manifester avec un éclat bien inattendu.

Le capitaine von P… avait pris la semaine ; nous obtînmes