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exclamations de surprise et de colère des lecteurs, du mouvement, de plus en plus intense et inaccoutumé à cette heure matinale, que la terrible nouvelle provoquait dans les rues.

Ce jour-là, 3 août, le Conseil des ministres, qui siégea de dix heures à midi, décida de solliciter l’appui diplomatique des Puissances garantes de notre neutralité, autres que l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie bien entendu. La demande d’appui militaire fut, à dessein et après mûr examen, retardée jusqu’à ce que l’Allemagne eût consommé son crime en faisant pénétrer ses soldats sur notre territoire. Nous ne voulions lui donner jusque-là aucun prétexte qu’elle pût invoquer pour dire que nous avions rompu la neutralité en faveur de ses ennemis[1]. Une chance restait encore, — si minime, il est vrai, mais qui suffisait à soutenir l’espoir de quelques-uns d’entre nous, — de

  1. Une légende s’est créée qui veut que la France ait offert à la Belgique, le 3 août, le concours immédiat de cinq corps d’armée et que la Belgique ait refusé. Les uns font grief au gouvernement belge de cette attitude, les autres la trouvent très noble. Le souci de la vérité historique me force à dire que, quelle que soit la décision qu’eût dû prendre le gouvernement belge, au cas où une telle offre lui eût été faite, il n’a pas eu à la débattre, pour l’excellent motif que l’offre n’a pas été faite. La pièce n° 142 du Livre Jaune français, les pièces n° 24 et 38 du Premier Livre Gris belge prouvent de façon péremptoire qu’elle n’a pas pu être faite. Le 3 août, vers midi, le ministre de France, en son nom personnel et sans être chargé d’une déclaration de son gouvernement, dit à M. Davignon qu’il croyait pouvoir affirmer que si le gouvernement royal faisait appel au gouvernement français comme Puissance garante de la neutralité belge, la France répondrait immédiatement à cet appel ; qu’au cas contraire, on attendrait probablement à Paris pour intervenir que la Belgique ait fait un acte de résistance effective.
    M. Davignon, qui sortait de la réunion du Conseil où on avait précisément décidé de ne pas faire appel encore au concours militaire des garans, remercia M. Klobukowski et lui fit connaître la décision dont il s’agit.
    Le ministre de France n’a pas pu le 3 août préciser une offre de cinq corps d’armée puisqu’il n’était chargé d’aucune communication de son gouvernement au sujet du concours éventuel qui pourrait être prêté à la Belgique.
    Il paraît certain, d’ailleurs, que la disposition de ses troupes n’aurait pas permis au gouvernement français d’offrir le concours immédiat de cinq corps d’armée à la Belgique tout au début d’août. En effet, quinze jours plus tard, le 18 août, un seul corps de la cinquième armée française tenait les ponts de la Sambre et de la Meuse autour de Namur et entre cette place et Givet. Les trois autres corps de cette armée n’étaient attendus que le lendemain 19 vers Philippeville (Voyez l’Action de l’armée belge, page 24.)
    La légende des cinq corps d’armée offerts par la France le 3 août n’a donc pu naître que d’un propos mal compris ou inexactement répété, relatif à la démarche faite ce jour-là à midi, de son propre mouvement, par M. Klobukowski.
    On sait qu’aussitôt que la violation du territoire belge fut un fait accompli, c’est-à-dire dans la soirée du 4 août, la Belgique demanda le concours armé de la France, de l’Angleterre et de la Russie en vertu de la garantie donnée par ces Puissances au traité de 1839.