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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/99

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ont entraîné, par contre-coup, une nécessité de relations multiples et d’incessans échanges de pensée. Le paysan de jadis vivait isolé sur sa terre. Le monde se bornait pour lui à l’horizon de ses champs. Il produisait sa subsistance. Mais notre cultivateur lui-même est devenu un commerçant, obligé d’acheter et de vendre, de s’enquérir et de participer à des groupemens ; il voyage, il lit ; il est autrement enraciné dans le milieu social. Le reflux de tous les sentimens publics traverse son âme chaque jour au simple dépouillement du journal. La conscience de sa vie dans la nation est entrée en lui pour jamais.

Quoi qu’il en soit, la cohésion, la concentration morale des nations belligérantes semble un des caractères des guerres nouvelles. Elle les pousse vers une concentration politique traduite par la constitution de grands ministères groupant les partis opposés. Les gouvernemens ainsi formés reçoivent du consentement commun des pouvoirs étendus. Le terme logique d’une telle évolution est un recommencement de la dictature antique. On sait que cette magistrature, instituée pour les heures de péril national, était à la fois absolue et éphémère. Ainsi équilibrée, l’institution put être efficace sans produire la tyrannie. Quelle forme nos mœurs politiques donneraient-elles, le cas échéant, à une dictature ? Nous avons vu celle de Gambetta en 1870. Elle reposait sur son éloquence de tribun. Elle a galvanisé la France. C’est par la maîtrise d’une volonté individuelle unique que les puissances internes d’une nation peuvent le mieux être rassemblées en leur entier et mises en œuvre, sans déperdition, jusqu’au bout.


III

Il faut ici donner aux termes leur rigueur absolue. Ce sont bien toutes les forces vives du pays qui sont absorbées par la guerre. Le chemin parcouru depuis un demi-siècle est significatif. En 1870, la France avait mobilisé 800 000 hommes, l’Allemagne 1 500 000 : aujourd’hui, les chiffres sont probablement de 4 millions chez nous, de 9 millions chez nos ennemis, soit plus du quart de la population mâle. Le petit peuple serbe, qui compte à peine 3 millions d’habitans, a pu entretenir en ligne des armées de 500 000 hommes. Les enfans sont levés dès dix-huit ans, les hommes jusqu’à