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harmonies décoratives pour calmer toutes les espèces de neurasthénies et aussi pour en procurer d’autres. Naturellement, les portes allaient s’élargissant vers le haut, les cristaux étaient tout à fait opaques, et les porcelaines plus lourdes que du plomb. Il semblait que l’homme d’esprit qui présidait alors aux destinées de la ville de Turin, eût voulu montrer à l’Europe tout ce qu’il fallait éviter. Mais les Allemands prirent la chose fort au sérieux. Nul de ceux qui passèrent, ce jour-là, sous l’étrange velum égyptien tendu à l’entrée du parc de Valentino ne peut l’avoir oublié. Tous les pays se présentaient à leur guise et avaient envoyé leurs meilleurs exemples de tératologie ornementale. Mais aucun ne se présentait en bataille, en rangs serrés, comme une armée. La France apparaissait dans un désarroi notable : ici, la vitrine d’un de ses joailliers, là, quelques meubles d’un artiste moderne, plus loin des céramiques. Seuls, les noms des auteurs apprenaient que, parmi tant d’autres exposans, il y avait quelques Français. L’Angleterre existait à peine : il y avait la salle Mackintosh, il y avait la salle Walter Crane, mais d’ensemble britannique, point. Les autres nations faisaient claquer au vent les noms de leurs artistes comme des drapeaux : « Horta ! Hobé ! Henry van de Velde ! » criait la Belgique. Le Danemark exposait ses porcelaines fameuses en deux endroits fort séparés l’un de l’autre.

Au contraire il y avait toute une région, toute une suite de salles, tout un dédale purement allemand. Pas de noms : l’Allemagne. On ne trouvait, si bien que l’on fouillât toutes les pièces, que deux individus, deux têtes dressées du même rythme, impassible, hautain, impersonnel : d’abord l’Empereur, au-dessus d’une fontaine massive et rude, et puis, au fond d’une petite chambre, Nietzsche. L’homme qui a dit : « Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et n’en croyez pas ceux qui vous parlent d’espérances supraterrestres ! Ce sont des empoisonneurs... » et celui qui a dit : « L’Art doit être une aide et une force éducative pour toutes les classes de mon peuple, c’est-à-dire lui donner, quand il est las après un dur labeur, le moyen de se fortifier par la contemplation des choses idéales. » C’était tout. Si vous prêtiez l’oreille aux accens des constructeurs, ou de leurs amis, voici les étranges paroles qu’on entendait : « Pénètre, étranger : ici