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de la silhouette [1]. » Il y a quelque chose de vrai dans ce panégyrique : l’ampleur de l’effort allemand. Quiconque a visité une de ces expositions d’art industriel ou décoratif qu’on a multipliées depuis le début du siècle, pour aider à la gestation d’un style moderne, à Paris comme à Turin, comme à Saint-Louis, comme à Bruxelles, quand il est entré dans la section allemande, a été frappé d’une impression particulière : puissance et cohésion. II semblait qu’on parcourût un royaume de titans. Les portes massives et hautes, les cyprès ou les lauriers, les aigles noirs, tout parlait de gloire, de mort, de rapacité. Mais un royaume de titans-unis.

Tout portait la même marque, révélait le même caractère, et, sur chaque objet semblait imprimée la trace d’une même main démesurée. A certains momens, il semblait plutôt qu’on fût dans le royaume d’un nain : l’industrieux gnome à capuchon, aux jambes torses, à la barbe patriarcale, que Richter et Moritz de Schwind ont popularisé. Car, en toute chose, les caractères étaient de forgerons, d’alchimistes, de bûcherons : objets mal dégrossis, taillés à coups de cognée, puis ornés, tout à coup, dans un coin, d’un joyau précieux. Mais, nains ou géans, la besogne était la même : énorme et collective. Pas de noms propres : çà et là, des noms de sociétés, de ligues, c’est tout. A Paris, en 1900, il n’y avait pas des exposans de jouets, il n’y en avait qu’un : l’Allemagne. Et ce pays où la pédagogie règne jusque dans la confection des polichinelles, — car il y a des écoles spéciales pour jouets en Thuringe, — présentait tous ses pantins et leurs accessoires sur une seule scène, machinée comme une salle du musée Grévin. Mais où l’impression était la plus forte, c’était durant l’automne de 1902, sur les bords du Pô en Piémont. La ville de Turin avait invité les artistes de tous les pays à déployer, en liberté, les monstres du modern style. Tout était admis, pourvu que rien ne ressemblât aux chefs-d’œuvre du passé. Et, en effet, cela n’y ressemblait pas. Il y avait, là, des appartemens pour gens maigres et des appartemens pour gens gras. Il y avait des armoires rondes, des secrétaires sphériques, des garde-manger sphériques, des fauteuils triangulaires, des sièges tendus de peau ou parchemin, retentissans comme des tambours, des

  1. Prof. Kuno Francke, « The Kaiser and his people. » Atlantic Monthly, octobre 1914.