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qui ait la haute main sur tout l’œuvre et en règle les diverses parties, sculpture, décoration, meubles même, dans leur rapport avec le plan général de l’édifice, chaque artiste employé ne songe qu’à faire une exposition de ses talens, comme s’il était seul, et sans égard à l’effet que produisent les autres. Que l’artiste ne dépende plus du bourgeois et que tout dépende de l’architecte, — et le style du XXe siècle est né.

Le grand-duc de Hesse entendait ces doléances, comme nous les avons tous entendues, il y a quelque vingt ans, et il résolut d’y mettre un terme. Il décida d’appeler, de toutes parts, les « stylistes modernes » et de leur donner, libéralement, les moyens de bâtir des demeures qui « répondent à la personnalité humaine et artistique de leurs habitans, » comme on disait dans le jargon du moment. Il leur offrit cet espace admirable de la Mathildenhœhe, demeuré sauvage, tout en légères ondulations, et plein des plus beaux arbres du monde, pour y établir un groupe de maisons et d’ateliers, à leur guise, une Künster-Colonie. Il fournit l’argent nécessaire. Tous les artistes capables de réaliser l’insaisissable style moderne furent conviés au grand œuvre. Il alla chercher, à Paris, Hans Christiansen, Allemand formé par la fréquentation des ateliers français et connu seulement par les dessins modernistes qu’il envoyait à la Jugend ; il alla prendre, à Vienne, l’architecte Olbrich, redoutable bâtisseur de villes mi-orientales et pseudo-italiennes ; il fit venir, de Munich, le sculpteur Habich ; il découvrit, à Mayence, le jeune Patriz Huber, âgé de vingt ans tout au plus, décorateur alaman de Souabe, qui donnait les plus grandes espérances ; il appela, de Magdebourg, un enfant prodige, Paul Burck, la tête déjà pleine de réminiscences de tous les maîtres, spécialement de Segantini ; il emprunta à Berlin Rudolf Bosselt, qui, comme tant d’autres, ciselait des figures de femmes exaspérées d’être attachées à des objets de première nécessité ; il nomma maître de l’œuvre Peter Behrens, architecte et décorateur notable, déjà, et qui devait le devenir plus encore. Il les lâcha dans le parc de la Mathildenhœhe et leur dit : « Allez ! Il n’y a plus de style, il n’y a plus de loi, il n’y en a jamais eu. Faites la maison de vos rêves ! »

Ce qu’ils firent, les bons Hessois le virent à l’Exposition de la Künstler-Colonie, en 1901, et se demandèrent, respectueusement, si leur grand-duc avait bien sa tête à lui. A peine au