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goût immodéré de l’Allemand pour ce qui tient de la place. Ce qui est nouveau, c’est de le porter dans l’aspect extérieur de simples maisons de rapport, de banques, de gares de chemins de fer ou de magasins de nouveautés ; c’est de donner une structure cyclopéenne, en pleine ville d’affaires, le long d’une rue où roulent les tramways, à des édifices d’usage domestique et journalier, et d’évoquer, tout d’un coup, Thèbes ou Ipsamboul, à propos de rien. Cette innovation, la dernière en date, des architectes d’outre-Rhin, leur appartient bien en propre ; mais elle n’est pas heureuse, et nul n’aura l’idée de la leur emprunter.

Dans l’art du décor de théâtre, il s’est produit aussi une évolution curieuse et fort inattendue. Du temps de Wagner, c’était un axiome que la mise en scène devait donner, aussi complète que possible, la vision de la réalité. S’il s’agissait d’une forêt, on devait se croire vraiment transporté en pleine ombre verte, sous des feuilles bruissantes, avec l’éclairage véritable et changeant que donne la nature ; s’il s’agissait d’un intérieur, le jour ne devait venir que d’un côté, non de la rampe, et frapper inégalement les figures. Le détail des objets concourait à une illusion complète. Aujourd’hui, c’est tout le contraire : un schéma de décor suffit, une arabesque sur la toile suggère un nuage, un pan de terrain, une forêt ; deux ou trois grands traits symbolisent des arbres ; quelques cubes sombres, l’intérieur d’un palais.

Pratiquement, c’est le retour au décor conventionnel, c’est-à-dire qui ne ressemble point à la nature. La seule différence, c’est qu’on a remplacé le mot « conventionnel » par le mot « stylisé. » Ainsi, tout l’effort du décorateur ancien tendait à meubler la scène de choses diverses et pittoresques pour amuser l’œil et l’occuper en même temps que l’oreille. Tout l’effort du nouveau est de vider la scène de tout ce qui n’est pas indispensable pour en suggérer, vaguement, le lieu. Tels sont les décors d’Adolphe Appia, et de Ludwig Sievert pour Parsifal, d’Ottomar Starke pour Gudrun et Jules César, de Walter Bertine pour Aglavaine et Selysette, de Fritz Schumacher pour Hamlet. D’autres décorateurs, au théâtre des Artistes, de Munich, ont appliqué plus ou moins heureusement ce programme. Au reste, il semble bien que cette réforme vienne encore d’un Suisse, Adolphe Appia, en même temps que deux autres Suisses, Hodler