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échanger avec lui quelques rapides paroles. Presque aussitôt, celui-ci vint à moi et me dit que, désigné par le ministère de la Guerre, je devais être incessamment rapatrié et, par la Suisse, dirigé vers la France.

La surprise, l’émotion, le bonheur, me clouèrent sur place ; je demeurai stupide, tournant mon képi entre mes doigts.

Croyant que je n’avais pas compris, le major B... voulut me confirmer l’heureuse nouvelle, ajoutant que mon départ n’était plus qu’une question d’heures.

On juge de ma joie. J’avais grand’peine à m’empêcher de crier. Ainsi, l’affreux cauchemar touchait à son terme ! Finies les longues misères, le froid, la faim, la crainte perpétuelle et les déshonorantes humiliations. Je cessais d’être moins qu’un esclave, je redevenais un homme. Encore un peu de temps, — si peu ! — et ce serait de nouveau la France, le retour auprès des miens dans la douceur du foyer enfin retrouvé.. « Joie, joie, joie, pleurs de joie ! »

Après le départ de la commission, nouvel étonnement. Le capitaine von P... me fit appeler pour me demander :

— Vous n’êtes presque plus un prisonnier, que puis-je faire qui vous serait agréable ?

Je répondis en sollicitant la permission de sortir, de visiter Bautzen, cette ville que je ne connaissais pas et qui me gardait depuis bientôt dix mois. Elle me fut immédiatement accordée.

Le jour même, à deux heures, accompagné pour me servir de guide par le secrétaire du capitaine, un étudiant de vingt-trois ans qui parlait suffisamment le français, je me mettais en route.

Pour la première fois après si longtemps, j’éprouvais la volupté de marcher librement. Il faisait beau, les rues ensoleillées me semblaient superbes, et splendides leurs magasins cependant bien modestes. Les passans s’ébahissaient à la vue de mon uniforme, quelques gamins nous poursuivaient, criant : « Franzose, franzose ! » Chemin faisant, mon compagnon me décrivait en conscience les curiosités de l’endroit. L’esprit ailleurs, je n’ai pas retenu grand’chose de ses explications ; je crois me souvenir pourtant de certaine maison, occupée par une boutique de nouveautés, où Napoléon passa la nuit du 20 mai 1813, veille de la bataille de Bautzen. Il me montra encore la cathédrale Saint-Pierre, de style romano-gothique, mais sans grand caractère et les ruines du château royal