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d’Ortenbourg. Un moment, nous nous assîmes sur les bords d’un étang fleuri, où sommeillait un vieux moulin. L’étudiant avait arrêté ses commentaires. Nous nous taisions, hésitant à parler, à nous interroger mutuellement. Une gêne insurmontable retenait sur nos lèvres l’expression des sentimens même les plus banaux. Pourtant, cet étranger était courtois, bien élevé, complaisant. Un an plus tôt, nous eussions conversé avec intérêt, pris plaisir à notre rencontre et comme l’autre jour, à la cantine allemande, je réfléchissais, malgré moi, à l’absurde cruauté de la guerre.


UNE ATTENTE DOULOUREUSE

Juin-Juillet. — Je dormis mal cette nuit-là. Un énervement, trop facile à comprendre, me tenait éveillé. Je me tournais, me retournais dans mon lit, sans trouver le sommeil. Dès l’aube, j’étais debout à m’occuper fébrilement de mon bagage. : Les camarades m’entouraient, venant me féliciter, m’accabler aussi de commissions sans nombre. Pauvres gens et pauvre moi, bien des jours s’écouleraient encore avant l’heure bénie de la délivrance qui me permettrait de m’en acquitter !

La journée passa, puis celle du lendemain, encore une autre après, sans que je fusse appelé à la Kommandantur. A la lettre, je ne vivais plus : le temps paraissait à mon impatience d’une longueur intolérable. Dans mon agitation, je vaguais de baraquement en baraquement, questionnant les uns et les autres, cherchant dans leurs réponses un apaisement à l’inquiétude qui me dévorait.

Les semaines s’éternisaient et rien, toujours rien. Une morne tristesse succédait à l’enivrement qui m’avait transporté. Tant de fois déjà, le bruit avait couru du rapatriement de certains prisonniers, grands blessés reconnus impropres à faire campagne, de l’échange du personnel sanitaire, ambulanciers et médecins ! Cette mesure d’humanité ne s’était jamais réalisée. Je possédais, il est vrai, l’assurance formelle d’un officier, mais celui-ci ne se trompait-il point ? n’était-ce pas de sa part un jeu cruel et décevant ?

Mon abattement ne connut plus de bornes lorsque j’appris l’entrée en jeu de l’Italie.

Comment continuer à espérer, maintenant que l’Allemagne