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fermait sa frontière suisse, que nul train ne partait plus dans cette direction, que la fureur s’exaspérait davantage contre les nations latines ?

Je tombai alors dans une véritable hypocondrie, malgré les affirmations et les encouragemens que me prodiguait le docteur B… Ce fut la plus lamentable période de ma captivité. Heureusement pour ma santé, elle fut de courte durée. Une épidémie de dysenterie qui éclata sur ces entrefaites vint m’arracher aux sombres pensées où je m’absorbais. Il y eut soudain au lazaret un travail intensif auprès des malades qui devint une diversion salutaire à la neurasthénie qui me gagnait. À soigner de plus éprouvés que moi, j’en oubliais un peu ma propre affliction. En même temps, les lettres que je recevais de Paris contribuèrent à rétablir ma confiance ébranlée. Elles me faisaient comprendre à mots couverts qu’après de longues difficultés qui les avaient suspendus, les échanges de prisonniers allaient reprendre prochainement. Du moins, était-ce l’interprétation qu’en mes instans d’optimisme je me plaisais à leur attribuer, car il n’était pas toujours facile de déchiffrer les rébus compliqués sous lesquels la sollicitude des nôtres s’ingéniait à dissimuler les renseignemens qu’on essayait de nous communiquer. Au début, revenaient continuellement des allusions à la santé d’une certaine sœur Marianne qui se rétablissait avec lenteur, à la besogne épineuse d’un jardinier nettoyant progressivement ses parterres des loirs qui les infestaient. Symbolisme un peu bien transparent qui n’avait pas tardé à exciter la méfiance de nos gardiens et leur faisait impitoyablement supprimer ou « caviarder » les trop naïves épitres. Il avait fallu trouver autre chose et souvent les tortueuses énigmes soumises à notre perspicacité prenaient la tournure de véritables casse-têtes.

Juillet était venu accablant et torride. L’épidémie semblait définitivement enrayée ; nous chômions au lazaret et je retombais dans ma tristesse et ma lassitude, lorsque le 16, vers deux heures, date à jamais inoubliable pour moi, je fus tout à coup convoqué à la Kommandantur. Je me rappelle encore le tumulte d’émotions qui m’agitaient durant que je traversais les cours sous l’éclatant soleil. Mes jambes se dérobaient sous moi quand je poussai la porte. Était-ce cette fois la délivrance ?

Le capitaine von P… me tend un papier. Les yeux brouillés,