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d’aucun de ceux qui avaient charge de nos destinées. L’importance de nos sacrifices précédens plaidait trop en faveur du maintien de notre autorité dans tout ou partie du Protectorat. Nous avions déjà dépensé un demi-milliard pour l’entretien du corps expéditionnaire au cours des années précédentes. Des travaux publics importans avaient été entrepris un peu partout. Plusieurs ports s’organisaient à grands frais. Celui de Casablanca avait absorbé de gros capitaux. Rabat, Kénitra, port très sûr, récemment créé à l’embouchure du Sebou, s’équipaient aussi. Les pistes d’hier se transformaient en routes. Enfin tout un réseau de tramways militaires, de 60 centimètres d’écartement de voies, joignait entre elles les grandes agglomérations de la Côte, atteignait Meknès, aux portes de Fez, reliait Oudjda et la frontière algérienne à Mçoun, poste voisin de Taza, s’avançait vers le Sud dans la direction de Marrakech [1].

L’exemple de l’administration avait été suivi par les particuliers. Nos nationaux, beaucoup d’Européens à leur suite, s’étaient fixés dans les villes de la Côte et même jusque dans les derniers postes de l’intérieur occupés par nos troupes. On pouvait estimer leur nombre à 50 000. Les capitaux engagés par cette colonie active et entreprenante se chiffraient par centaines de millions. Plusieurs grandes villes européennes étaient nées et se développaient avec une rapidité tout américaine. Nombreux même étaient les colons acquéreurs de domaines ruraux plus ou moins vastes qui se livraient à la culture dans des régions pacifiées de la veille.

La valeur totale de l’effort réalisé par nous pouvait donc s’estimera près d’un milliard que ferait perdre immanquablement l’évacuation du pays.

Restaient deux solutions en dehors de celle-ci. Nous pouvions chercher à conserver tout le terrain conquis ou bien abandonner une partie plus ou moins considérable de l’intérieur pour nous rapprocher de nos deux bases d’opérations, l’Algérie à l’Est et l’Océan vers l’Ouest.

Mais comment tout conserver, alors que la patrie, menacée dans son existence, avait besoin de l’ensemble de ses ressources ? Le Maroc nous échapperait certainement si la France était vaincue en Europe, et nous éprouverions alors la suprême

  1. La ligne de l’Ouest a été poussée depuis lors jusqu’à Fez, et Taza se trouve également relié au réseau de l’Est.