Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tristesse d’avoir conservé, au prix de coûteux sacrifices, une magnifique proie pour nos ennemis.

La dernière solution n’offrait pas des dangers moins considérables. L’histoire nous apprend en effet, qu’on n’a jamais fortifié sa situation dans un pays mal soumis, en se cantonnant passivement sur les positions conquises, moins encore en cédant du terrain. Tout recul ne produit-il pas une recrudescence de la révolte ?

On n’a pas perdu le souvenir de la première expédition de Constantine et de la désastreuse retraite qui la suivit. Or, nos troupes de Taza devraient, pour rallier Oudjda et la frontière oranaise, couvrir plusieurs étapes dans une région terriblement accidentée, défendue par des montagnards bien armés, exaltés par ce qu’ils appelleraient notre fuite. Parvenues au petit chemin de fer militaire qui se soude au réseau algérien, il leur faudrait encore retraiter sur une distance de 150 kilomètres environ pour atteindre la frontière ; mais celle-ci n’est qu’une ligne idéale !

Le recul vers l’Ouest des troupes de Fez serait au moins aussi difficile. Et quels dangers courraient ceux de nos bataillons qui gardaient la ligne de l’Atlas ! Jusqu’où n’iraient pas, a la suite de nos colonnes alourdies par tous les impedimenta de la retraite, les partisans que Moha ou Hamou savait naguère maintenir devant notre avance victorieuse ? Ne serions-nous pas acculés un peu plus tard à nous réfugier dans certaines villes littorales, comme ont fait si longtemps les Espagnols dans leurs Présides ?

De graves difficultés pouvaient d’autant mieux se produire que les intrigues allemandes travaillaient depuis longtemps les milieux indigènes marocains. Des rapports diplomatiques secrets, récemment publiés, ont fait connaître que nos ennemis escomptaient des troubles dans l’Afrique du Nord et en Russie. Ils avaient particulièrement multiplié les efforts et les sacrifices pour les faire naître au Maroc.

Nous avions été jusque là à peu près désarmés dans ce pays contre les étrangers. L’Acte d’Algésiras, la crainte d’incidens diplomatiques faciles à soulever, arrêtaient le plus souvent notre action coercitive, même contre les élémens les moins recommandables. La guerre changea heureusement tout cela. La saisie des correspondances des consuls et des sujets allemands,