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joliment son rêve modeste, son lent rêve et celui de son village M. Benjamin Vallotton n’est pas très habile : je le préfère à de plus malins. Ses défauts mêmes ont souvent une sorte de naïve gentillesse.

Je n’ose pas compter au nombre de ses défauts le zèle qu’il a quelquefois consacré au service de la vertu, dans ses livres et, par exemple, dans ces trois romans qui se continuent sans faiblesse : La moisson est grande, Il y a peu d’ouvriers et Leurs œuvres les suivent. Les titres indiquent déjà l’intention recommandable, mais prédicante. Trois volumes de réalisme évangélique ; et, le réalisme, l’aménité religieuse le tempère, La moisson, si grande, serait la moisson des âmes et le moissonneur est un pasteur de village, un doux garçon muni de courage et de tendresse. On ne l’aide pas beaucoup : ni sa femme ni, auprès de lui, personne, hélas ! ne participe à sa ferveur de charité spirituelle. Peu d’ouvriers, pour rentrer la moisson des âmes ! Le seul ouvrier, le pasteur, s’est marié peut-être étourdiment Considérant que « la vie est amour, » il a fait un mariage d’amour et, tard, vérifie que la vie et l’amour sont deux choses. Sa femme n’évite pas l’occasion de le trouver, dans le monde, plus gauche que ne le permet la coquetterie conjugale. Et il endure un continuel tourment. Un jour, telle est sa détresse morale que nous avons pitié de lui. De toutes parts, il ne rencontre que l’hostilité ou l’indifférence, pire que la haine à sa bonté active. Il passe devant un jardin où un terrible vieil athée, notoire pour ses farouches doctrines, chauffe sa paralysie au soleil. Ce bonhomme, les autres pasteurs craignent de l’aborder. Il entre : « Je passais devant votre porte et... » Le bonhomme reconnaît le pasteur : « Merci, je n’en use pas ! » Cette rudesse n’effare point le pasteur : ah ! veuille-t-on ne voir en lui que son désir d’apporter quelque sympathie !... « De la sympathie ? Je n’en veux pas ! » Et le pasteur : « Me permettez-vous au moins de vous serrer la main ? » L’autre ne s’adoucit pas : lui serrer le main ? pourquoi ?... — « Parce que cela me ferait du bien : c’est moi qui ai besoin de sympathie... » Le vieil athée regarde aux yeux son visiteur étrange, soulève difficilement son bras, tend la main. Puis le pasteur s’en va, disant : merci. « De nouveau le calme était dans son cœur... » Une scène si belle et pathétique par la noble ingénuité de la pensée est l’honneur d’un livre. Néanmoins, la trilogie de la Moisson, des Ouvriers et de leurs Œuvres qui les suivent n’évite pas d’être, s’il faut l’avouer, un peu ennuyeuse. L’auteur ne nous tient pas toujours dans le sublime ; et tant mieux, car trois tomes de sublime nous fatigueraient excessivement. Mais, quand il nous laisse retomber aux