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qui parfois éclate en clameurs indignées, et qui, même quand il est sourd, est une force aussi, le mépris deviné sur les lèvres muettes, jusque chez les peuples qui aux extrémités du globe ont pu se dérober au raz de marée sanglant, tout cela, tout ce châtiment qui commence, cette note d’infamie qui précède, accompagne, suit, éternise l’affliction, on ne l’aurait pas arraché au cœur hésitant, à la conscience partagée, à la voix sollicitée des juges, si, dans le ciel, sur la terre et sous les eaux, et très haut par la bouche de la Belgique violée, le forfait de l’Allemagne ne hurlait pas contre elle. Le dernier bienfait de la neutralité belge, le voilà ; mais non, ce n’est pas le dernier : elle n’a pas épuisé ses bienfaits. Ce n’est pas seulement son indépendance, comme les traités l’ont proclamé, qui, dans le passé, a été attachée à sa neutralité, c’est son existence même ; en la plénitude du terme, elle ressuscitera justement de sa neutralité -violée. Et je ne sais si, en Belgique ou ailleurs, il se trouvera des partis ou des publicistes pour en discuter. Mais je viens de parcourir les deux gros volumes où sont rassemblés tous les discours qui ont été prononcés dans les Chambres législatives belges » et dont le recueil compose « l’histoire parlementaire du traité de paix du 19 avril 1839 entre la Belgique et la Hollande, » acte final de la séparation, acte de constitution du nouveau royaume. Les protestations s’y accumulent, avec une énergie farouche et souvent injurieuse, contre la renonciation à une partie du Limbourg et du Luxembourg : à peu près aucune, ou j’aurai mal cherché, ne s’est élevée contre la neutralité, présentée comme la garantie de l’indépendance et laissant naturellement à la Belgique neutre le droit de s’armer autant qu’elle le croirait désirable pour repousser une agression. Depuis lors, depuis 1831 où la Belgique est née, il s’est, dans la paix et dans le travail, écoulé quatre-vingt-cinq ans ; la longue vie d’un homme, un long espace de la vie d’une nation. Quelle nation, dans ce monde livré aux folies les plus scélérates, ferait fi d’un siècle de tranquillité, même imparfaite, suspendue de temps en temps et entrecoupée par quelques alertes ? Dans un monde pareil, ce n’est pas sur ce qu’on aimerait à son gré qu’il faut calculer sa puissance, mais sur ce qu’on est obligé de craindre au gré d’autrui.


En Russie, tandis que le premier ministre, M. Sturmer, s’apprête à arranger, avec la Douma, convoquée pour entendre l’exposé de M. Sazonow, les difficultés que lui a léguées son prédécesseur, M. Goremykine, le grand-duc Nicolas triomphe, à la tête de l’armée du Caucase. Les militaires diront la portée que peut avoir, pour la