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redoutable pendant qu’il se soignait pour autre chose qui était moins grave. Il fut doux envers la mort comme il l’avait été envers la vie, s’étonnant seulement un peu de sa promptitude, qui en effet fut extrême. Si sa vie à la dernière heure s’est déroulée devant son esprit, il a eu cette récompense d’y voir une succession d’actions bonnes et justes et comme une théorie harmonieuse de belles manifestations de la plus noble activité humaine. Il n’a vécu que pour bien penser et pour aider les autres à bien penser. Il n’a vécu que pour donner à son pays le secours de bons conseils et de méditations sérieuses et salutaires.

J’estime que son influence a été très considérable et qu’elle a été excellente. Pendant quarante ans, presque quotidiennement, il a donné une forme claire, accessible et engageante aux idées libérales, généreuses et civilisatrices. Pendant quarante ans, il a engagé tous les partis à se rallier à la politique de la justice, de la tolérance réciproque, de l’amour de la Patrie et de l’émulation dans cet amour. Pendant quarante ans, avant la séance du 4 août 1914, il a prêché de tout son cœur l’union sacrée. Son action répétée et infatigable, comme elle a été sans trêve, n’a pas été sans résultat. Elle existe, cette troisième France, qui n’est ni la France noire, ni la France rouge et qui veut être uniquement la France française ; elle existe, cette France qui veut être libre du côté des partis comme du côté des gouvernemens, et qui ne demande que justice pour tous et pour tous libre exercice et libre expansion des saines initiatives. Elle existe, et c’est un peu et c’est beaucoup à Francis Charmes qu’elle doit d’exister et d’avoir conscience d’elle-même.

C’est le rôle et c’est l’office du grand journaliste, non pas de créer des états d’esprit, mais de leur donner une forme précise, une attitude caractéristique, une physionomie propre, un mot où ils se sentent exprimés et définis, grâce à quoi ils acquièrent constance et fermeté et comme un degré de plus dans l’être. Il n’y a pas, de la part du journaliste, création proprement dite, mais il y a organisation, constitution d’un organisme. Cette démiurgie, personne ne l’a exercée avec plus d’art, ni avec plus de persévérance et douce ténacité que Francis Charmes.

La France libérale, qu’il fût ou qu’il ne fût pas dans le Parlement, qu’il fût ou qu’il ne fût pas personnellement et nommément