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reformé dans sa dent et si les signes d’empoisonnement que présentait le malade ne provenaient pas uniquement de son effroi. Peu de miracles résistent à une critique qui se donne des apparences de profondeur à force de conjectures. Pour lui, non seulement il n’a jamais fait la moindre allusion à ses dons de thaumaturge, mais il les a niés avec une vivacité qui, du reste, en prouverait l’existence, car le vrai thaumaturge ensevelit dans un silence de pudeur les miracles qui s’opèrent par son entremise et dont il est lui-même plus effrayé que ravi. Malheureusement, les hagiographes n’ont pas observé sa discrétion. Ils étouffent leur saint sous une végétation de petits miracles qui nous cachent sa figure, et, plus encore, ses souffrances et la sainte stérilité de ses efforts. On raconte d’un célèbre marabout qu’étant dans un misérable état il arriva un soir au bord du Tigre. Comme il désirait traverser le fleuve, les deux rives se rapprochèrent jusqu’à se toucher. Mais il pria Dieu d’éloigner de lui la tentation : « Non, s’écria-t-il, je n’abuserai pas de mon crédit auprès du Seigneur pour économiser un liard ! » Et il traversa le Tigre sur le bac du passeur. Les saints pourraient reprocher souvent à leurs biographes d’avoir été trop économes de leurs liards. Et j’en veux presque à ceux qui, sur la foi de quelques témoins étonnés que François se fit comprendre des indigènes d’une île malaise, lui accordèrent le don des langues, ne fût-ce que par intermittence, quand il ressort de sa correspondance qu’il souffrit toujours de ne pas l’avoir et même d’éprouver tant de difficultés à les apprendre. D’ailleurs, pendant ces dix années de l’Inde, sauf quelques Asiatiques qui connaissaient le portugais, il n’a jamais confessé aucun indigène. Sa tâche eût été bien aplanie s’il avait eu le don de son prédécesseur saint Thomas ; et les conversions qu’il a faites paraîtraient moins surprenantes. Pourquoi lui retirer un mérite en lui prêtant une faveur divine ? Il tient à tous les clous de sa croix. Ils sont tous joyaux pour lui. Et puis la question est moins de savoir si les miracles qu’on lui attribue sont indiscutables que de savoir pourquoi on y crut. On y crut parce que sa vie était un perpétuel miracle ; et il ne venait à l’esprit d’aucun de ceux qui l’approchaient que cet homme ne fût pas un homme de Dieu, tant il était pur, dévoué aux âmes, tendre envers les malheureux et modeste.

Le soir, les pieds brûlans d’avoir foulé le sable, la bouche