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est le vrai Dieu, puisque ses Commandemens sont si conformes à la raison naturelle. » Ils me demandèrent si l’âme meurt avec le corps comme l’âme des brutes. Dieu Notre-Seigneur m’inspira de leur répondre de telle sorte que mes argumens se trouvèrent adaptés à leur capacité : ils entendirent clairement l’immortalité de l’âme et témoignèrent en ressentir une vive satisfaction. Il faut se garder avec ces pauvres intelligences de recourir aux subtiles considérations de nos docteurs scolastiques. Ils me demandèrent ensuite : a Quand l’homme meurt, par où s’en va son âme ? » Et encore : « Quand il dort et quand il rêve qu’il est avec ses amis (ainsi m’arrive-t-il très souvent d’être avec vous, frères bien-aimés !) l’âme va-t-elle en effet ailleurs et cesse-t-elle d’être unie au corps ? » Ils me prièrent aussi de leur dire si Dieu est blanc ou noir. Il leur semble en effet qu’entre ces diverses couleurs des hommes. Dieu doive faire son choix. Eux, ils n’hésitent pas à dire qu’il est noir, et ils trouvent cette couleur belle parce qu’il n’y a dans le pays que des noirs. De là vient que presque toutes leurs idoles sont noires. Encore les trempent-ils très souvent dans l’huile, de sorte qu’elles ont une odeur infecte et sont laides à faire peur. Je répondis de manière à les. satisfaire et je conclus : « Faites-vous donc chrétiens, puisque vous connaissez la vérité. » Ils répondirent comme beaucoup parmi nous : « Que dira-t-on si nous changeons à ce point et d’état et de vie ? » Sans compter la tentation où les met la pensée qu’une fois chrétiens, ils manqueraient du nécessaire.


La scène est impressionnante. Dans cette cour entourée de portiques, où les colonnes évidées soutiennent toute une ménagerie divine peinte et sculptée, où les chauves-souris, suspendues par leurs griffes au bec de proie des dieux, immobiles, la tête enveloppée de leur membrane comme d’un manteau, attendent que le crépuscule des longues galeries s’assombrisse, la vision de ce prêtre maigre et minable, dressé, le crucifix à la main, au milieu des Brahmes élégamment drapés de mousseline blanche, le front marqué du trident symbolique, serait digne d’inspirer un grand peintre. Mais qu’il prenne garde : sur les beaux visages de ces Hindous, il faut que son pinceau sache diversifier les expressions et mêler aux curiosités attentives les gravités dédaigneuses et la malice et la sournoiserie. Ils ne sont pas tous assis ; les plus jeunes, appuyés aux colonnes, regardent l’étranger avec leurs yeux de femme perverse et leur sourire ambigu. L’emblème rouge et blanc de la force génératrice qui s’épanouit a leur front relève leur langueur d’une insolence de défi.

François ne nous dit pas qu’il était accompagné d’un interprète. Mais il l’était. Et que valait cet interprète ? Ce n’était pas un Brahme. Un Brahme n’eût point consenti à paraître au milieu