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quatrième qu’il écrivait depuis son départ de Lisbonne et la première vraiment intéressante, inaugure un genre épistolaire nouveau, celui des Lettres Édifiantes. Elle produisit une forte impression en Europe ; elle détermina même des conversions. Désormais les missionnaires prendront l’habitude d’écrire ces lettres où d’innombrables lecteurs trouveront, avec le récit des progrès de l’Evangile, un aperçu de la vie des apôtres et un tableau vivant des pays lointains. Elles formeront un des plus riches trésors de notre littérature de voyages ; et elles exerceront une très grande influence sur la pensée et l’imagination occidentales. Mais on ne les lira pas toujours comme elles furent écrites et comme leur titre et François de Xavier, qui en avait donné les premiers modèles, voulaient qu’elles le fussent. Ce sont avant tout des œuvres d’édification. Elles ne racontent pas tout et ne peuvent tout raconter. Elles se taisent sur les peines intimes du missionnaire, sur ses démêlés avec les autorités civiles ou religieuses, sur ses découragemens inévitables, sur les scandales fréquens des convertis, sur certaines corruptions des peuples à convertir. Elles sont volontairement optimistes. Faute de les avoir mises au point, Rousseau idéalisera les sauvages, et Voltaire les Chinois. Ils étaient gens crédules, et, sans qu’on s’en doutât, trop faciles à édifier. Les Jésuites ne se flattaient pas plus d’être historiens complets, que nos soldats des tranchées quand ils écrivaient des lettres qui faisaient le tour des journaux et où respirait tant de confiance et d’héroïsme. Il serait tout aussi injuste de leur reprocher leurs omissions que d’accuser les autres de fourberie pour nous avoir dissimulé leurs souffrances, leurs appréhensions et l’horreur des spectacles qu’ils avaient sous les yeux.

Et cette lettre nous montre encore François à une heure presque douce et heureuse de sa vie d’apôtre. On a remarqué, dans sa conversation avec les Brahmes, ce mot charmant au sujet des voyages de l’âme pendant les rêves : « Ainsi m’arrive-t-il d’être souvent avec vous, mes frères bien-aimés ! » Il termine sur des effusions dont la mélancolie n’a rien d’amer. Son premier séjour chez les Paravers fut l’aimable aurore d’une journée apostolique dont le midi devait être souvent aride, le couchant glorieux et le crépuscule désolé.


ANDRE BELLESSORT.