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de la Völkerpsychologie, l’objet même de cette science, le sens de la vie propre, de l’originalité de l’âme des peuples, ne se découvrait pas, ne se rendait pas à ces savans.

L’Allemagne, pour commencer par elle, s’est, comme nation et comme Etat, ignorée, ou mieux encore, elle s’est déformée elle-même. Elle a pratiqué sur son propre peuple, ou sur l’ensemble des variétés et espèces qui le composent, une série d’opérations artificielles dont l’effet a été la création d’un être de laboratoire, d’un monstre de sociologie, « homunculus » ou « surhomme, » selon le miroir dans lequel il se reflète. Elle a entrepris, à partir de 1870 et plus encore de 1890, de s’ « organiser, » comme le docteur Faust avait entrepris de se rajeunir. N’ayant que mépris et dédain pour ce qu’elle avait été, condamnant l’idéalisme et le sentimentalisme du passé, elle a manipulé, forgé, selon le codex de ses nouveaux docteurs, un Etat dont le seul objectif, le seul souci devait être le développement de la puissance matérielle sous toutes les formes. A l’Allemagne individualiste et particulariste d’autrefois, avec ses royaumes, grands-duchés, principautés ou villes ayant leur caractère propre, leur culture, leur originalité, était substituée en quelques années une Allemagne dans laquelle une brusque et brutale centralisation militaire, administrative, économique et scientifique était imposée comme un joug. Toute l’énergie, toute l’activité de la nation était, de force, détournée vers un but unique : la construction de l’énorme machine qui devait conquérir et asservir le monde. Henri Heine qui, Prussien libéré comme il s’appelait lui-même, connaissait à fond son pays et qui l’avait étudié dans la phase si instructive, si révélatrice, de 1830 à 1848, avait deviné et pressenti ce que deviendrait sous le régime prussien, sous le militarisme, l’Allemagne qu’avait vue ou cru voir Mme de Staël, et ce qu’une poigne de fer et d’acier ferait du pays du clair de lune romantique et de la métaphysique transcendantale. L’Allemagne de 1813 avait formé contre les armées de Napoléon la ligue de la vertu (Tagendbund). L’Allemagne de 1848 avait cherché au Parlement de Francfort l’unité dans la démocratie et la liberté. L’Allemagne créée par Bismarck, Moltke et de Roon, achevée par Guillaume II, von Bernhardi et von Tirpitz, est la Germanie casquée, cuirassée, pour qui il n’y a que la force, qui ne demande à la civilisation que de fourbir ses armes, d’enfler